Les trois quarts des juifs européens considèrent que l’antisémitisme s’est aggravé en Europe ces cinq dernières années. La France et la Hongrie sont particulièrement touchées. Appel à des mesures policières.
Les trois quarts (76 %) des juifs européens considèrent que l’antisémitisme s’est aggravé au cours des cinq dernières années selon une étude réalisée pour le compte de l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (European Union Agency for Fundamental Rights, Fra) auprès de 5 847 personnes juives vivant dans les huit pays européens au sein desquels vivent 90 % des juifs de l’UE (1). Cette agence communautaire a été créée en 2007 par un règlement du Conseil en remplacement de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes. Elle est basée à Vienne, en Autriche.
« L’antisémitisme est un exemple inquiétant de la manière dont des préjugés peuvent perdurer à travers les siècles », souligne Morten Kjaerum, directeur de la Fra, à l’occasion de la publication de cette première étude vendredi 8 novembre à la veille des commémorations de la Nuit de cristal, le violent pogrom contre la communauté juive dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 dans toute l’Allemagne nazie au cours de laquelle 30 000 personnes furent arrêtées et qui se solda par le décès de plus de 2000 personnes. « Quelque chose [NDLR : l’antisémitisme] qui aurait dû disparaître et ne pas être accepté socialement a, au contraire, pris de l’ampleur », déplore une enquêtée du Royaume-Uni.
LA FRANCE EN PREMIÈRE LIGNE DE L’ANTISÉMITISME
L’antisémitisme est un problème majeur pour 66 % des sondés en moyenne. Mais c’est en Hongrie et en France que ce sentiment est de loin le plus fort (respectivement 90 % et 85 %), contre 61 % en Allemagne, 60 % en Italie et 48 % au Royaume-Uni. Parmi ces répondants, la France se caractérise de plus par des évaluations particulièrement élevées : les manifestations d’antisémitisme prennent la forme d’expressions d’hostilité envers des personnes juives dans la rue ou autres lieux publics pour 84 % des sondés (54 % en moyenne pour les huit pays), de vandalisme dans des institutions et bâtiments juifs pour 78 % des sondés (45 % en moyenne), de graffitis antisémites pour 69 % (contre 45 % en moyenne).
La Hongrie fait pire en matière d’antisémitisme dans les médias (73 % contre une moyenne de 59 %), de profanation de cimetières juifs (79 % contre 50 %) et plus encore d’antisémitisme dans la vie politique (84 % contre 44 %) alors que le parti d’extrême droite Jobbik a fait en 2010 son entrée au parlement où il dispose de 11 % des sièges. C’est encore en Hongrie que l’on entend le plus souvent l’affirmation selon laquelle « les juifs sont responsables de la crise économique actuelle » contre 9 % au Royaume-Uni. Et c’est en France que le conflit israélo-arabe a le plus fort impact sur le sentiment de sécurité en tant que juif (73 %, contre 28 % en Allemagne).
LA CIRCONCISION MISE EN CAUSE
Pour le président du Consistoire Joël Mergui, la récente résolution du conseil de l’Europe qui assimilait la circoncision à une « violation de l’intégrité physique » dénote « un esprit et un climat délétère à l’égard du judaïsme ». Cette résolution avait été dénoncée par les communautés juive et musulmane.
Le président François Hollande a cherché à le rassurer dans une lettre rendue publique le 8 novembre. Évoquant « une pratique rituelle, répandue à travers le monde et parfois encouragée par le corps médical », le président français a affirmé qu’il n’était « pas question de remettre en cause un geste symbolique du judaïsme – comme d’autres religions ».
UN FAIBLE SIGNALEMENT DES AGRESSIONS ANTISÉMITES
Toujours dans l’enquête de la Fra, 23 % des répondants ont déclaré avoir connu une forme ou une autre de discrimination parce qu’ils étaient juifs. Et 82 % d’entre eux n’ont signalé l’incident à aucune autorité, la majorité estimant que cela n’aurait rien changé à leur situation. Un résultat cohérent avec d’autres études menées par la Fra après d’autres groupes concernant des personnes issues de minorités et de l’immigration ou de personnes homosexuelles. La Fra souligne à ce propos que seuls 13 des 28 États membres collectent des données sur les incidents et crimes antisémites signalés à la police ou traités par le système de justice pénale.
FAIRE EN SORTE QUE LA POLICE TRAQUE L’ANTISÉMITISME SUR INTERNET
D’après l’étude, Internet joue un rôle particulièrement néfaste dans la propagation de l’antisémitisme. Le réseau arrive en tête de toutes les manifestations d’antisémitisme (75 % en moyenne pour les huit pays). « Les forums de discussion sur Internet et les commentaires sur YouTube regorgent de messages antisémites et antisionistes » estime un enquêté de France. « Il est particulièrement pénible d’observer qu’internet, qui devrait être un outil de communication et de dialogue, est actuellement utilisé comme un instrument de harcèlement à caractère antisémite », dénonce le directeur de la Fra.
La Fra estime que l’UE et les États membres devraient trouver « de toute urgence, des moyens efficaces de lutter contre le phénomène croissant de l’antisémitisme sur Internet ». L’agence suggère la création d’unités de police spécialisées chargées de surveiller et d’enquêter sur les « crimes de haine » en ligne et l’adoption de mesures pour encourager le signalement de contenus antisémites à la police.
MARIE VERDIER pour www.la-croix.com
(1) Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Royaume-Uni et Suède