À dix jours d’intervalle, deux attentats à la voiture piégée ont été perpétrés à Ashkelon. Un dispositif exceptionnel a été déployé pour endiguer ces violences, plus meurtrières que le terrorisme palestinien.
Plusieurs centaines de policiers ont été déployés ces derniers jours pour tenter de ramener le calme dans les rues d’Ashkelon. Les habitants de cette ville balnéaire située au nord de la bande de Gaza, habitués à vivre sous la menace intermittente des roquettes du Hamas, viennent de découvrir un autre genre de terreur.
À dix jours d’intervalle, deux attentats à la voiture piégée y ont été perpétrés dans le cadre de rivalités entre bandes mafieuses. Un épisode révélateur des méthodes ultra violentes employées par la quinzaine de familles qui dominent le crime organisé en Israël.
«On oublie souvent que la guerre des mafias cause, depuis la fin de la deuxième intifada, plus de victimes que le terrorisme palestinien», fait remarquer le journaliste belge Serge Dumont. Auteur d’une enquête* sur le crime organisé, il rappelle que ces gangs, apparus dès la naissance de l’État hébreu, se sont progressivement militarisés grâce à l’expérience acquise lors des conflits de 1967 et 1973.
«Très déterminés lorsqu’il s’agit de défendre leur territoire, ils se sont dotés de redoutables arsenaux en commanditant des vols dans les entrepôts militaires ainsi qu’en débauchant des artificiers désireux d’arrondir leurs fins de mois, explique-t-il encore, si bien que les règlements de compte se pratiquent désormais à coups de roquettes ou de missiles antichars.»
Des trafics de sable dérobé
Jeudi 24 octobre, cette guerre des mafias s’est brusquement invitée à Ashkelon, où l’explosion d’un véhicule piégé a fait un mort et un blessé grave dans les rangs du clan Domrani. Furieuse, cette puissante famille a aussitôt organisé le vol d’un dispositif de vidéosurveillance installé à proximité de la scène de crime, sans doute dans l’espoir d’en châtier les auteurs. Mais la manœuvre, audacieuse, n’a pas suffi à les intimider: samedi dernier, toujours à Ashkelon, un attentat similaire a blessé un autre membre du même clan. «Face à ce pic de violence, il a été décidé de déployer un dispositif exceptionnel pour rassurer la population», indique Micky Rosenfeld. À entendre ce porte-parole de la police israélienne, la lutte contre le crime organisé est devenue la priorité des services répressifs, après avoir été longtemps négligée au profit des opérations antiterroristes.
Selon les statistiques officielles, plus de 300 mafieux présumés auraient ainsi été arrêtés cette année, principalement pour des faits de violence et de blanchiment. «Nous avons décidé de mettre le paquet sur le renseignement afin que ces familles ne puissent plus passer entre les mailles du filet», ajoute le policier.
Le clan Domrani, spécialisé dans le commerce de stupéfiants, le prêt d’argent à des taux usuraires mais aussi le trafic de sable dérobé dans les carrières ou sur les plages d’Israël, est ainsi bien connu des services spécialisés. Parti du bas de l’échelle, il a profité des déboires judiciaires de certains concurrents pour développer ses activités, jusqu’à susciter l’aigreur du milieu.
L’an dernier, un projet d’attaque au missile antichar a ainsi visé la villa édifiée, à l’abri d’une paisible communauté agricole, par le «parrain» présumé, Shalom Domrani. Il se serait alors mis au vert quelques semaines avant de regagner Israël, où il a été brièvement interpellé début avril pour… une infraction routière.
«L’anecdote illustre les limites du travail policier, observe Serge Dumont. Malgré l’aide de leurs indics, ils ont beaucoup de mal à réunir des preuves et sont souvent contraints de remettre les “parrains” en liberté après deux ou trois jours d’interrogatoire.» Depuis que la dépression consécutive à la guerre d’octobre 1973 a poussé nombre d’entre elles à émigrer vers l’Amérique ou l’Europe, les grandes familles ont appris à brouiller les pistes en développant leurs activités internationales.
Le parrain présumé Zeev Rosenstein, originaire de Tel-Aviv, a longtemps défié la police israélienne avant de «tomber» pour trafic de drogue aux États-Unis, en novembre 2004. Itzakh Abergil, chef d’une famille qui a développé ses activités en Europe et au Japon, a pour sa part été condamné aux États-Unis pour extorsion de fonds. Libérable en 2016, il serait sur le point d’être autorisé à purger la fin de sa peine au pays. Un retour qui, selon les spécialistes, contribue à expliquer le récent accès de fièvre du milieu israélien.
(*) L’Histoire vraie de la mafia israélienne, La Manufacture de livres, à paraître le 8 novembre.