Représentants juifs, chrétiens, autorités israéliennes et françaises, ont rendu mercredi 23 octobre un hommage émouvant au cardinal Lustiger, lors de l’inauguration d’un mémorial au monastère bénédictin d’Abou Gosh.
« Le mystère d’Israël est indissolublement le mystère des chrétiens », « Prier, c’est donner prise à Dieu et repousser la folie meurtrière de la haine »… Gravées en français, en arabe et en hébreu sur des plaques de céramique, ces paroles du cardinal Lustiger s’offrent au visiteur, attiré par la fraîcheur de l’eau qui coule dans les rigoles et dévale les terrasses parmi les oliviers. Nulle statue, mais une oasis de paix invitant à la prière et à la méditation.
L’inauguration, mercredi 23 octobre, d’un mémorial consacré à un juif converti au catholicisme, devenu cardinal, dans un monastère bénédictin du domaine national français, mais installé dans un village arabe musulman, non loin de Jérusalem, revêtait un caractère symbolique extrêmement fort pour les représentants des trois religions présents. Mais plus qu’un symbole, il s’agissait pour Richard Prasquier, ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France et maître d’œuvre du projet, d’une sorte de « devoir sacré ».
Comme beaucoup l’ont rappelé au cours de l’émouvante cérémonie, l’existence de ce mémorial est en soi exceptionnelle. Lorsqu’il est venu pour la première fois en Israël, en 1995, le grand rabbin ashkénaze Israël Lau avait accusé « Aahron Lustiger, devenu Jean-Marie Lustiger », d’avoir trahi son peuple et sa religion. Mais avec ses voyages à Auschwitz et son travail discret pour résoudre l’affaire du carmel d’Auschwitz, pour aboutir à la déclaration de repentance des évêques français à Drancy, ainsi que ses rencontres inédites avec l’orthodoxie juive de New York, la méfiance a peu à peu fait place à l’amitié.
« SA CERTITUDE QUE L’AVENIR DE L’EGLISE EST FONDÉE DANS LE JUDAÏSME A ÉTÉ ESSENTIELLE »
Et c’est le Crif lui-même qui a lancé l’idée du projet en 2011, d’abord dans le désert du Néguev, avant d’opter pour Abu Gosh, sur une idée du P. Patrick Desbois, fondateur de l’association Yahad-In unum. Ce monastère, lieu de fraternité entre juifs et chrétiens dans un village arabe miraculeusement préservé de la guerre en 1948, où le cardinal Lustiger aimait se rendre lors de ses pèlerinages en Terre Sainte, symbolise, de fait, une coexistence harmonieuse entre croyants de diverses religions dans ce pays.
« Fidèle à la tradition catholique, il sut établir avec les juifs des relations d’une audace, oserais-je dire, évangélique », a rappelé dans son allocution le cardinal André Vingt-Trois, qui a travaillé durant 23 ans aux côtés de Jean-Marie Lustiger. Depuis le début de la semaine, l’archevêque de Paris accompagne le voyage « Aux sources de la Promesse » de près de 150 chrétiens et quelques juifs, très engagés dans le dialogue judéo-chrétien. Membres du Collège des Bernardins, Sœurs de Sion, Amitié judéo-chrétienne…
« Sa certitude que l’avenir de l’Eglise est fondée dans le judaïsme a été essentielle », salue Claudine Maison, cofondatrice de l’association Davar qui propose depuis 1985 aux juifs religieux et aux chrétiens de vivre ensemble de se rencontrer, d’étudier et de prier ensemble. « En France, le dialogue judéo-chrétien a bénéficié d’un climat d’amitié très particulier, mais en Israël, le dialogue est encore formel. L’Église au Moyen-Orient est arabe et donc palestinienne, ce qui n’est pas simple, aussi y a-t-il un besoin important de connaissance réciproque ».
« PASSAGE D’UN DISCOURS DU MÉPRIS À UN DISCOURS DE RESPECT »
Les rabbins d’Israël étaient effectivement peu nombreux. Une hospitalisation avait empêché René-Samuel Sirat, grand rabbin de France de 1981 à 1988, de venir. Mais la délégation française devrait être reçue cette semaine au rabbinat de Jérusalem. « J’ai été impressionné par son œuvre en faveur du rapprochement avec les juifs alors que son destin l’a placé sur des points pour le moins explosifs de la mémoire collective juive », remarque Ygal Palmor, porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères. « Il a su transformer ces circonstances délicates en une promesse d’avenir et laissé une marque dans l’imaginaire des Israéliens, même s’il y a encore tout un travail pédagogique à accomplir pour faire comprendre son itinéraire ici ».
Prieure des bénédictines du Mont des Oliviers, Mère Christine-Marie a côtoyé le cardinal à la fin des années 1990. C’est du jardin de son couvent que provenait la terre, déposée sur le cercueil de Jean-Marie Lustiger, lors de ses funérailles en 2007. « La mémoire, c’est tellement important dans la conscience juive, que ce mémorial revêt ici une grande importance, même s’il est un peu dommage qu’il se situe dans un périmètre français. Il faudra du temps encore pour enraciner son héritage. »
Le P. David Neuhaus, vicaire patriarcal pour les catholiques de langue hébréophone, reconnaît que le nom du cardinal « n’est guère connu en Israël » mais « l’essentiel, dit-il, est la révolution dans laquelle il a pris une part primordiale, ce passage d’un discours du mépris à un discours de respect entre juifs et chrétiens » : « Ce qui est sans doute pour l’Église la révolution la plus fondamentale du XXe siècle, nous donne un modèle pour la révolution à venir, entre Israéliens et Palestiniens dans notre pays »
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