L’alcool est une addiction dont il est très difficile de se sevrer. Et même après avoir arrêté, la partie est loin d’être gagnée, puisque 70 à 80% des alcooliques rechutent moins d’un an après avoir fermé leur dernière bouteille. Le docteur Segev Barak, de la Sagol School of Neuroscience de l’Université de Tel-Aviv, et le professeur Dorit Ron, de l’Ernest Gallo Clinic and Research Center de l’Université de Californie à San Francisco, ont fait une découverte qui pourrait aider à traiter la dépendance à l’alcool et surtout éviter les rechutes.
Crédits : Mitchell Bartlett
Une nouvelle stratégie thérapeutique
D’après le docteur Barak, l’alcoolisme, comme l’addiction aux drogues, est une maladie avec une base biologique pouvant altérer sévèrement la santé. Le haut taux de rechute suite à un sevrage est lié à des souvenirs gravés dans la mémoire des anciens alcooliques. Les lieux et les objets, sans parler bien entendu des odeurs et goûts associés à l’alcool, sont autant de facteurs pouvant inciter un ancien consommateur à rechuter. L’idéal serait donc d’effacer ces souvenirs. C’est la nouvelle stratégie mise au point par l’équipe de chercheurs américano-israélienne.
La mémoire des sens
Le protocole expérimental mis au point consistait à proposer à des rats un choix entre une boisson alcoolisée et de l’eau pendant 2 mois. Environ 10 à 20% des rats buvaient de l’alcool sans montrer de signes d’addiction et furent par la suite exclus de l’étude. L’étape suivante consistait à entraîner les rats présentant des signes d’addiction à recevoir de la solution alcoolisée en actionnant un levier. Après 10 jours d’abstention, les chercheurs « réveillèrent » la mémoire sensitive des rats en leur présentant des portions minuscules d’alcool ou en leur faisant respirer les vapeurs. Les rats alcooliques essayèrent par la suite de s’auto-administrer des doses d’alcool.
Des scanners réalisés sur les cerveaux des rats ont révélé que la partie de la mémoire contenant les souvenirs liés à la consommation d’alcool active un complexe protéique appelé mTORC1. Cette molécule est responsable de la synthèse de nouvelles protéines dans les synapses entre les neurones du cerveau. Elle a donc un rôle important dans la création des souvenirs.
Des résultats encourageants
Les chercheurs ont alors remarqué que la mémoire contenant les souvenirs liés à l’alcoolisme activait cette protéine dans des parties spécifiques du lobe frontal. Celui-ci est responsable des souvenirs émotionnels et est impliqué dans les symptômes liés au sevrage. Le docteur Barak explique qu’une activation aussi forte et précise d’une protéine dans une partie spécifique du cerveau est très rare.
Neutraliser l’activation de cette protéine est ainsi devenu un enjeu capital. Pour cela, la Ramapycine, un médicament utilisé normalement chez les individus ayant fait des rejets de greffes, a été utilisée. Une fois administré, ce traitement s’est déplacé vers les aires cérébrales associées à l’alcoolisme et a prévenu l’activation du processus initié par le complexe mTORC1.
L’équipe du professeur Ron et du docteur Barak a montré comment la mise en place de l’alcoolisme se produit au niveau cellulaire. Elle a également montré par quelles voies métaboliques les souvenirs liés à la consommation d’alcool stimulent les rechutes. Un traitement empêchant la réactivation de ces souvenirs est donc capital et la recherche effectuée par la collaboration américano-israélienne apporte un espoir de guérison pour de nombreux malades traversant les affres du sevrage.