Le coup de fil historique entre les deux présidents laisse espérer un dialogue plus constructif sur le dossier nucléaire, même si certains diplomates craignent une «manœuvre» de l’Iran.
Et si après plus de trente ans de glaciation, le dégel était en enfin train de s’amorcer entre Téhéran et Washington? Laconversation téléphonique historique qui s’est tenue pendant une quinzaine de minutes ce vendredi après midi entre Barack Obama et le président Hassan Rohani a brusquement mis le monde en haleine, faisant surgir, pour la première fois de manière aussi tangible, l’espoir d’un début de dialogue constructif entre l’Iran et les Etats-Unis d’Amérique. L’initiative est venue de Rohani lui-même, qui avait pourtant renoncé mardi à une rencontre de visu avec Barack Obama à New York pendant l’Assemblée générale de l’ONU, la jugeant prématurée. Mais le bon contact établi jeudi par son ministre Javad Zarif avec le secrétaire d’Etat John Kerry à l’ONU, aurait finalement conduit le président iranien à suggérer un coup de fil présidentiel. La Maison Blanche, dont la proposition de contact direct restait ouverte, a immédiatement accepté.
Les deux hommes se sont parlés vers 14H30 alors que le président américain était dans le bureau ovale et que Rohani était à bord d’une limousine l’emmenant vers l’aéroport, après sa semaine d’entretiens aux Nations Unies. Ils se sont promis de travailler à résoudre rapidement le conflit qui oppose sur le nucléaire iranien. Le président Obama a évoqué la nécessité de parvenir à «un accord significatif, transparent et vérifiable», a noté un responsable de l’administration américaine. Obama aurait aussi noté qu’une percée sur le front nucléaire pourrait mener à une «relation plus profonde» avec l’Iran.
«Have a nice day!», a lancé Rohani à la fin de la conversation, selon un tweet du président iranien (@HassanRouhani. «Thank you, Khodahafez (qui veut dire au revoir)», a répondu Obama selon le même compte twitter. Un autre tweet a montré la photo d’un Rohani hilare alors qu’il montait à bord de son avion pour l’Iran après «sa conversation historique avec Barack Obama .
«La glace qui a recouvert la relation américano iranienne pendant plus de 30 ans est en train de céder. Et quand la glace se met à se fendre, cela va plus vite que vous pensez. Ce qui se passe est stupéfiant», a commenté pour l’agence Associated Press Gary Sick, de l’université de Columbia.
Depuis 1979, date de la rupture des relations diplomatiques après la prise d’otages à l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, il n’y avait plus eu aucun contact entre un leader iranien et un président américain. La dernière entrevue datait de 1977, quand Jimmy Carter avait passé Noël avec le Shah d’Iran, qu’il appelait à l’époque «le meilleur allié de l’Amérique». Depuis la rupture, les Etats-Unis étaient qualifiés de «grand Satan», servant de repoussoir facile à la république islamique. De leur côté, les Américains avaient classé l’Iran au premier rang des pays de «l’axe du mal».
Obama veut rester prudent
À son arrivée aux affaires en 2009, Obama a tenté une ouverture vers le régime des Mollahs. Il s’est du coup retrouvé en porte à faux avec la jeunesse iranienne, quand celle-ci s’est mise à revendiquer sa liberté en juin 2009, criant «Obama es tu avec nous ou contre nous?» La répression féroce qui a suivi a enterré les espoirs de rapprochement avec le régime. Préoccupé par la marche à l’atome de l’Iran, Obama s’est alors fait le chef de file d’une position de fermeté, imposant un régime de sanctions financières et économiques extrêmement dures tout en tentant de faire revenir les Iraniens à la table de négociations. Clairement, ces dernières ont pesé lourd dans la décision de Téhéran de relancer le processus diplomatique. Mais bien d’autres raisons enchevêtrées, comme la fragilité croissante du régime et son isolement, ou la dangereuse montée des violences au Moyen Orient, semblent se conjuguer, pour ouvrir une voie de négociation et une porte d’espoir.
Ce vendredi, Rohani a affirmé qu’il avait toute latitude pour négocier sur le nucléaire, une manière de dire que le Guide Ali Khameneï, décideur ultime en Iran, lui avait donné sa confiance.
Experts et diplomates, échaudés par des années de négociations nucléaires débouchant sur de fausses promesses, appellent à ne pas s’enthousiasmer trop vite. Les mêmes réticences se font entendre à Jérusalem, où Benjamin Netanyahou, qui retrouvera Barack Obama ce lundi à Washington, n’a cessé de mettre en garde contre «une manœuvre» destinée à faire lever les sanctions et gagner du temps, pour finalement arriver à la construction de la bombe, sur le modèle de la Corée du nord.
S’il dit «croire qu’il existe une base pour résoudre» le différent nucléaire, Barack Obama est d’ailleurs resté prudent dans son appréciation de l’ouverture iranienne, après sa conversation téléphonique, rappelant que «le chemin vers un accord significatif sera difficile».
Mais quelque chose de potentiellement vertigineux est en train de se jouer entre l’Iran et les Etats-Unis. Avec peut être à la clé, un rapprochement à la Nixon et Mao comme en 1971.