Ancien résistant, médecin cancérologue, Maurice Tubiana est décédé mardi 24 septembre à l’âge de 93 ans.
Enseignant, chercheur, clinicien, il s’était engagé sur des grandes questions de santé publique comme le tabagisme ou l’euthanasie.
« C’était un homme simple, agréable, à l’intelligence vive, cultivé et travailleur, un humaniste du XXe siècle en quelque sorte », dit de lui le professeur André Aurengo, chef du service de médecine nucléaire à la Salpêtrière, qui le connaissait bien depuis qu’il avait été le président de sa thèse de médecine et qui le côtoyait à l’Académie de médecine.
UN CHOIX À PILE OU FACE
Né le 25 mars 1920 à Constantine, en Algérie, dans une famille de trois garçons, Maurice Tubiana perd son frère cadet âgé de 7 ans, puis sa mère alors qu’il n’a que 17 ans. Deux drames qui vont marquer sa vie. Après des études secondaires au lycée d’Alger, il hésite entre les études médicales et la préparation aux grandes écoles d’ingénieurs. « J’ai tiré à pile ou face et je suis tombé sur médecine », racontait-il, avouant « un certain regret de ne pas avoir fait une classe préparatoire scientifique ». Étudiant à Paris puis à Lyon, il entre dans la Résistance puis s’engage dans les Forces françaises libres en 1943 et combat avec les alliés. Il est blessé en 1944 dans le sud de la France.
À L’ORIGINE DE L’INSTITUT GUSTAVE-ROUSSY
Docteur en médecine en 1945, docteur en physique en 1947, il part aux États-Unis où il étudie la biophysique à Berkeley (Californie). « Toute ma carrière a été conditionnée par ces 18 mois passés aux États-Unis. Ce fut une école d’humilité pour le jeune interne que j’étais. Je n’avais, jusque-là, pas compris ce qu’était une médecine fondée sur la biologie moderne et l’alliance de la rigueur scientifique et l’intuition clinique », dira-t-il. À son retour, il côtoie Frédéric Joliot-Curie avec qui, notamment, il parcourra la banlieue parisienne en voiture pour trouver un site digne de recevoir un grand hôpital où l’on soignerait le cancer à l’aide des rayonnements ionisants. Ce sera l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne).
UN PIONNIER DE LA RADIOTHÉRAPIE MODERNE
En 1952, voilà donc le professeur de physique médicale à Gustave-Roussy, où il effectuera une bonne partie de sa carrière avant de le diriger de 1982 à 1988. Trois ans plus tard, il dispose du premier appareil de radiothérapie à être installé dans un hôpital français : la bombe au cobalt. Spécialiste mondial en radiobiologie (il recevra en 1981 la Gray Medal, la plus haute récompense internationale dans ce domaine), il sera à l’origine de l’utilisation des isotopes radioactifs en médecine et pionnier de l’essor de la radiothérapie et de la radioprotection en France et en Europe. Il mène des recherches sur le traitement des cancers du système lymphatique (lymphomes) et de la thyroïde, ainsi que sur le dépistage du cancer du sein.
MODERNISER LA PRATIQUE DE LA MÉDECINE
Dans les années 1950-1960, il fait partie du Club des 13, un groupe informel au sein duquel Jean Bernard, Jean Hamburger ou Georges Mathé réfléchissent à la façon de moderniser leur pratique de la médecine. Expert consultant à l’OMS puis à l’Agence internationale de l’énergie atomique, il a contribué à la création en 1964 du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) à Lyon. Membre de l’Académie des sciences (1988) et de l’Académie de médecine (1988), il est l’auteur de plus de 300 publications scientifiques, ainsi que d’essais destinés au grand public comme « La lumière dans l’ombre : le cancer hier et demain » (O. Jacob, 1991), « Le bien-vieillir » (Éd de Fallois, 2003), ou « Mémoires, N’oublions pas demain » (Éd de Fallois, 2007).
DES PRISES DE POSITION À CONTRE-COURANT
Le grand public se souviendra de lui comme l’un des grands pourfendeurs du tabagisme (à l’origine de la loi Evin avec Claude Got, François Grémy et Gérard Dubois), mais aussi de l’alcool, des accidents de la route et des excès alimentaires. Mais aussi, comme celui qui minimise les impacts de la radioactivité, à contre-courant de l’opinion majoritaire. Ainsi au moment de Tchernobyl, il relativise la gravité du passage du nuage radioactif sur une partie de la France et prend la défense du profeseur Pierre Pellerin, alors en charge de la radioprotection en France. Plus encore, il assure qu’à faibles doses, la radioactivité ou beaucoup de produits toxiques ne sont pas forcément dangereux, ce qui fera de lui la « bête noire » de nombreux épidémiologistes.
UN HOMME CONVAINCU DES BIENFAITS DE LA SCIENCE
Le 7 décembre 2012, dans La Croix, il affirme : « L’euthanasie ne doit être envisagée que si toutes les autres voies ont été explorées, que les souffrances sont liées à l’état du vieillard et qu’aucune action de l’entourage et la mise en œuvre des soins palliatifs ne puissent l’améliorer ». D’un naturel optimiste, il plaidera jusqu’à la fin de sa vie pour que la science soit mieux comprise du public français. Mais il aura un certain mal à participer aux débats citoyens, à admettre le principe de précaution ou la réticence du public à l’égard des OGM. « Le bilan de la science pour l’humanité est très largement positif (…) Œuvrer pour le progrès, pour la santé, donne un sens à la vie », rappelle-t-il dans « La science au cœur de nos vies » (O. Jacob, 2010).
Marié, père d’une fille adoptive, Maurice Tubiana passait tous les étés avec sa femme dans une maison au bord de la Méditerranée où ils aimaient recevoir leurs nombreux petits-enfants. Un hommage officiel lui sera rendu vendredi lors d’une cérémonie militaire dans la cour des Invalides.
DENIS SERGENT pour la-croix.com