Depuis le début de la guerre en Syrie, la Jordanie, la Turquie et même l’Irak utilisent les routes du nord d’Israël comme « corridor commercial ».
La scène est devenue courante. En direction ou venant du port de Haïfa, des convois de plus en plus nombreux de camions immatriculés en Jordanie ou en Turquie, avec panneaux lumineux et escorte policière, encombrent les routes du nord d’Israël. The Marker, le supplément économique du quotidien indépendant Haaretz, en révèle l’origine : il s’agit de la conséquence de la guerre civile en Syrie. Ces véhicules, dont des camions frigorifiques de modèles parfois vieillots, sont un nouvel axe d’import-export entre la Jordanie, la Turquie et aussi l’Irak, avec qui Israël est techniquement toujours en guerre.
Dans le passé, les échanges commerciaux du royaume hachémite avec l’Europe ou la Turquie se faisaient majoritairement par voie terrestre, à partir du port syrien de Lattaquié et surtout de celui, plus au sud, de Tartous. Il y a deux ans, le conflit en Syrie est venu tout bouleverser. En raison de l’impossibilité d’assurer la sécurité des chauffeurs et de leur cargaison, les trois pays concernés ont dû chercher des solutions de rechange. Divers trajets, évitant le voisin en guerre, ont été envisagés. Mais ils étaient trop longs ou dangereux. Les Jordaniens, suivis très vite des autorités d’Ankara, se sont donc tournés vers Israël en lui demandant d’utiliser son territoire comme « corridor commercial ».
Convois
Après de longs débats avec le Shin Bet, qui s’inquiétait de la dimension sécuritaire du projet, et sous la pression du ministre israélien de la Coopération régionale, une centaine de poids lourds jordaniens ont d’abord été autorisés à entrer en territoire israélien. Depuis, leur nombre n’a cessé d’augmenter. Concrètement, les véhicules entrent par le poste-frontière jordano-israélien Sheikh Hussein, dans le nord du pays, où ils subissent des contrôles de sécurité. Une fois passés, ils roulent par convoi de dix camions en direction du port de Haïfa, situé à 80 kilomètres. Quant aux exportations turques à destination de la Jordanie et de l’Irak, elles arrivent par camions transportés en ferry jusqu’à Haïfa. Une fois débarqués, les véhicules se rendent en Jordanie via ce même terminal frontalier de Sheikh Hussein.
En 2012, avec l’octroi d’un nouveau permis autorisant les camions jordaniens à rouler sur les routes israéliennes, le nombre des passages a été doublé, passant de 3 500 par an à 6 400. Depuis le début de l’année, les autorités douanières israéliennes en ont enregistré quelque 2 600, dans les deux sens.
Discrétion
Est-ce à dire que l’on assiste à l’émergence d’une paix économique régionale, dans laquelle Israël aurait sa place ? Du côté des autorités israéliennes, on se contente de parler de geste visant à rendre service à la Jordanie. Un « voisinage solidaire », en quelque sorte. Mais certains Israéliens se prennent à rêver d’un profit sonnant et trébuchant. « En taxes portuaires, dépenses d’essence, droits allant dans les caisses du ministère des Transports ou de la police et en assurances, nous pouvons espérer arriver à un montant annuel de 200 millions de shekels… », explique une source gouvernementale.
En attendant, tous mettent l’accent sur le caractère extrêmement discret de l’opération. Aucune trace d’un passage en Israël sur les camions jordaniens et turcs et pas de tampon israélien sur les passeports des chauffeurs. Car pour tous ceux qui sont impliqués, c’est une évidence : « Cette économie fonctionne, car elle est souterraine et exempte de tout aspect politique. » Même si certains ajoutent : « Ce corridor commercial terrestre influence la réalité géopolitique. Il se peut qu’il ait contribué au dégel des relations israélo-turques. »