DOSSIER – N’en déplaise à nos dirigeants, l’exil des Français s’accélère. Matraquage fiscal, climat dépressif, mépris de la réussite… les raisons du ras-le-bol sont multiples. Le Figaro Magazine est parti à la rencontre de ces citoyens fâchés avec la France de François Hollande.
N’en déplaise à nos dirigeants, l’exil des Français s’accélère. Matraquage fiscal, climat dépressif, mépris de la réussite, etc., les raisons du ras-le-bol sont multiples. Auxquelles il faut désormais ajouter le scandale Cahuzac, dont on n’a pas fini de mesurer l’impact sur l’état d’esprit des contribuables. «Il ne sert à rien de camper dans le déni, estime Michel Rousseau, de la Fondation Concorde, un think tank libéral. L’exil des patrimoines comme des talents est un problème considérable, qui a de lourdes répercussions sur l’investissement et l’emploi.»
«Résider en France devient lourdement handicapant»
Dans un pays qui a toujours été une terre d’accueil plus que d’émigration et n’aime rien tant que de revivre sa Révolution, partir est mal vu. «Casse-toi riche con!» avait hurlé Libération en une à l’adresse de Bernard Arnault, première fortune française, en découvrant son projet de naturalisation belge en septembre dernier. Puis ce furent Gérard Depardieu et ses pérégrinations belgo-russes.«Minable», avait lâché le Premier ministre Jean-Marc Ayrault à propos de notre «Gégé» national. Alors évidemment, les autres n’ont rien dit. Profil bas. «N’écrivez pas mon nom», suppliaient-ils. Et tandis que depuis l’été dernier, tous les avocats fiscalistes de Paris racontent à qui veut l’entendre ne jamais avoir vu un exil fiscal d’une telle ampleur, Bercy peut se permettre de répondre malicieusement: «Non, vraiment non, il n’y en a pas plus qu’avant. Vous en connaissez, vous, des gens qui partent?»
Mais aujourd’hui, les «cons» se rebiffent, les «minables» se cachent de moins en moins. Et ils parlent. Ils racontent pourquoi ils sont partis ou s’apprêtent à le faire, ce qu’ils pensent de la France… Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes, premier groupe informatique français (1), ne s’est pas fait injurier lorsqu’il a calmement expliqué le mois dernier qu’il envisageait un exil fiscal, parce que «résider en France devient lourdement handicapant». En plein strip-tease sur le patrimoine des politiques, un député millionnaire qui siège sur les bancs des radicaux de gauche, l’élu de la Réunion Thierry Robert (2), a lancé ce cri du coeur sur RTL: «Si on continue à ne pas encourager l’investissement et le développement, j’en aurai marre de payer tout le temps et je pourrais quitter la France!»
TÉMOIGNAGES:
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Et puis, il y a ceux qui sont partis depuis un certain temps et qui expliquent pourquoi ils ne sont pas près de rentrer dans ce pays qu’ils adorent, mais qui «ne s’aime pas lui-même». Un pays «déprimé», disent la plupart. Un pays «qui a pourtant tout pour lui». Selon un sondage réalisé le mois dernier pour le site Mondissimo, dédié aux expatriés, 40 % des Français travaillant à l’étranger ne veulent pas revenir en France. Et pour cause: 82 % d’entre eux disent attendre d’abord un «changement de mentalité», et notamment «un nouveau climat fiscal, social et politique».
Enfin, des chefs d’entreprise n’hésitent pas à dire leurs difficultés à recruter des salariés de haut niveau à l’international «dès que l’on dit qu’on est français». Et si Bernard Arnault a renoncé à la nationalité belge, il a rompu huit mois de silence pour raconter longuement dans les colonnes du Monde son désarroi d’entrepreneur dans un pays où «on aime bien les footballeurs, pas les chefs d’entreprise».
Que s’est-il passé pour que les langues se délient? Est-ce l’accumulation de casseroles au sommet de l’Etat? Ou les revirements successifs du gouvernement? «Il y a trop d’instabilité fiscale, ils n’ont plus confiance dans la parole de l’Etat», explique un gestionnaire d’actifs. Et l’homme des hausses d’impôts, le «Superman de Bercy», l’impitoyable ministre du Budget Jérôme Cahuzac, se fait pincer pour avoir planqué de l’argent en Suisse et à Singapour afin de le soustraire à l’impôt… De quoi faire se gondoler plus d’un exilé fiscal!
Ce moment de franche rigolade passé, les sujets de préoccupation ont repris le dessus: l’entêtement sur la taxe de 75 %, l’alourdissement de l’ISF, la perspective d’une loi limitant les salaires des patrons du privé, l’amputation des allocations familiales des classes aisées, l’alourdissement envisagé de la fiscalité sur les gros contrats d’assurance-vie… Et maintenant, le grand déballage sur le patrimoine des élus, qui risque d’attiser la haine à l’égard des classes aisées. «C’est le concours du plus miteux! se désole un banquier qui s’apprête à faire ses valises. Autrefois, c’était bien d’être honnête, aujourd’hui, c’est bien d’être pauvre.»
Pour les gros contribuables, la coupe est pleine. Officiellement, entre 800 et 1000 foyers quittent notre pays chaque année pour payer moins d’impôts. Ce sont les vrais «exilés fiscaux». Toujours selon le ministère des Finances, seuls 128 contribuables ont payé en 2011 l’exit tax, cet impôt créé sous Nicolas Sarkozy pour décourager les fuites de capitaux (il s’agit de ponctionner les plus-values «latentes» des détenteurs de fortunes qui quittent le territoire). Autant dire personne! Sauf que, de l’avis général des fiscalistes, ces chiffres sont largement sous-estimés et datent de 2011, c’est-à-dire avant que les effets des hausses d’impôts Sarkozy ne se fassent sentir et avant le coup de massue de François Hollande.
40 % des Français travaillant à l’étranger ne veulent pas revenir en France selon un sondage réalisé pour le site Mondissimo
Le désamour touche aussi les jeunes actifs
Pour la Fondation Concorde, «l’exil patrimonial» connaît en réalité une forte accélération depuis près d’un an. Et de citer notamment l’explosion des ventes de biens immobiliers dans les quartiers parisiens où résident le plus grand nombre d’assujettis à l’ISF. Selon les chiffres fournis par le réseau immobilier haut de gamme Daniel Féau Immobilier, les ventes de biens d’une valeur supérieure à 1,5 million d’euros ont fait depuis un an un bond de 75 % à Neuilly, 69 % dans le VIe arrondissement de Paris, 63 % dans le XVIe, etc.
Car à défaut de données fiscales d’ensemble, on en est réduit à guetter les mouvements individuels. Ici, c’est un installateur d’alarme de l’Ouest parisien qui a perdu six clients depuis l’automne ; là, c’est un fabricant de piscines dont plusieurs chantiers sont à l’arrêt dans des résidences secondaires pour cause de départ à l’étranger des propriétaires, etc. La galerie d’art contemporain parisienne Jérôme de Noirmont, qui ferme ses portes, a vu une centaine de ses habitués quitter la France. Ces anecdotes font le miel des dîners en ville parisiens. L’exode toucherait-il seulement la capitale? Pas forcément. Mais même des villes moyennes de province ont leurs exilés fiscaux. On aurait dénombré trois départs à Bourges…
Mais le désamour va bien au-delà des aspects fiscaux et financiers. Ces cadres ou ces entrepreneurs qui quittent la France ne sont pas ou que peu touchés par le tour de vis fiscal entrepris depuis l’été dernier. New York est le point de chute privilégié des jeunes actifs, comme Bastien, qui vient d’ouvrir une cantine française branchée à Manhattan. «Paris, c’est très bien pour passer des vacances mais pas pour travailler, dit-il. A New York, il se dégage une énergie individuelle incroyable. On regarde les gens marcher et on a envie de marcher avec eux. On veut être dedans, sur le ring, dans la bagarre.»
Les jeunes diplômés n’ont jamais autant ressenti l’appel du large. Selon une enquête récente Ifop pour le cabinet Deloitte, ils sont 27 % à envisager leur avenir professionnel hors de France. C’est deux fois plus qu’il y a un an! Pour ceux qui sortent des grandes écoles, l’expatriation est une démarche quasi naturelle. «Ils ont eu dans leurs écoles de commerce ou d’ingénieurs des expériences à l’étranger, via des stages, des programmes d’échanges. Ils sont nettement plus détendus que nous ne l’étions à leur âge à l’idée de commencer leur vie professionnelle hors de France, raconte un père de famille dont les deux fils vivent et travaillent à l’étranger. Beaucoup de ceux que je connais ont envie de monter leur boîte et se disent: «Je vais passer dix à quinze ans à l’étranger avant de revenir.»» La question qui se pose désormais est de savoir s’ils auront toujours envie de revenir.
(1) Filiale du groupe Dassault, propriétaire du «Figaro».
(2) Il a été élu sous l’étiquette MoDem.
Source Le Figaro Magazine