AFIN QUE NUL N’OUBLIE
C’est pour moi une très grande émotion de vous retrouver à Roglit, de constater que chaque année de plus en plus de jeunes nous rejoignent, c’est important car chaque jour rapproche le jour où cela sera à la nouvelle génération de se sentir concernée, de prendre le relais, afin que nul n’oublie jamais.
L’humanité toute entière doit se souvenir du crime commis par Elle et contre Elle.
Merci à vous tous d’être venus.
Chaque enfants caches peut raconter le moment décisif ou une main secourable l’a tire du cote du vivant.
Merci et un grand shalom aux représentants de la France
Vous êtes les dignes héritiers de cette minorité de français, de ces Justes qui en cachant de nombreux Juifs, leur procurant de faux papiers, les mettant en lieu sûr, souvent au péril de leur vie, ont sauvé une grande partie de la population juive de France dont de nombreux enfants, je m’en souviens très bien, j’étais l’un d’eux.
La lumière de ces Justes éclaire encore aujourd’hui de nombreux foyers d’enfants cachés.
Bouleversé mais conscient que nos 80 000 Noms emmurés de Roglit sont ceux de nos parents, grands parents, d’enfants, qui sont nos frères, nos sœurs, nos cousins qui aujourd’hui seraient de grands enfants de plus de 70 ans.
En France sur ordre du gouvernement de Vichy, une partie de la police, de la gendarmerie, de la Milice vont chasser, arrêter, interner 11 600 enfants de moins de 16 ans, les séparer de leur maman avant de les livrer, crime impardonnable, horreur absolue, à leurs bourreaux nazis.
Ce que vous avez fait à ces enfants, c’est à nous que vous l’avez fait.
En 1945 sur 11 600 enfants déportés de France moins de 200 reviendront vivants de l’enfer concentrationnaire.
Sur ces 11 600 enfants 2 000 avaient moins de six ans.
Comment peut-on tuer des enfants pour la simple raison qu’ils sont nés juifs, ces enfants assassinés, comme ils manquent tant à toute l’humanité, ces enfants seraient devenus brocanteurs, tailleurs, cordonniers, mendiants ou bien banquiers, docteurs, peintres, écrivains, professeurs, chercheurs, combien de Nobel assassinés avant d’avoir découvert ces fameux vaccins qui n’existent toujours pas et qui n’existeront peut-être jamais.
La vengeance pour la disparition de ces enfants, même le diable ne pourrait l’inventer.
Pardonner
Ce n’est pas à nous de répondre… La réponse, il faut la demander aux 80 000 Noms qui se trouvent derrière nous, mais comment oser demander de pardonner à une immense montagne de cendres de l’avoir embrasée?
Ce qui c’est passé à Auschwitz-Birkenau ne peut-être compris ni décrit, pourtant il faut le crier, le faire savoir. Les oublier, se taire serait les assassiner une seconde fois.
Nous devons nous souvenir de Tout et de Tous.
Auschwitz, mémoire d’un peuple pour le plus jamais ça.
Aujourd’hui l’ONU invite officiellement l’Hitler iranien qui déclare haut et fort qu’il faut exclure ce cancer du Moyen-Orient que sont les Juifs en Israël.
Faut-il toujours nous obliger à faire la guerre pour avoir la paix.
6 millions de Juifs concentrés dans un petit territoire cela peut donner des idées à certains, comme l’envie de »terminer le travail ».
Aujourd’hui comme hier qui proteste vraiment ? Qui intervient ?
Mémoire douloureuse
Je n’ai pas connu les camps nazis, j’ai vécu la Shoah en tant qu’enfant caché, qui devait absolument cacher, question de vie ou de mort, que nous étions juifs, qui se souvient, comme si c’était hier, et qui se souviendra éternellement qu’un 24 février 1943 deux gendarmes sont venus lui arracher son papa.
Mais je suis sûr que toi aussi Papa, tu te souviens de ce 24 février.
Souviens-toi, rappelle-toi ce matin là, ton petit garçon refusait de te lâcher la main, refusait qu’on nous sépare.
Comme tout enfant qui aime son papa je voulais absolument partir avec toi. L’un des 2 gendarmes, le plus gentil, le plus sympathique celui qui nous a avoué avoir un enfant de mon âge était d’accord de m’emmener avec Toi. Je croyais avoir gagné, quand bizarrement, en une seconde, d’un simple geste, c’est toi mon papa qui ne voulait pas de moi. Pour me calmer, pour me décider à rester, tu n’as rien trouvé de mieux que de me promettre une lettre…Une lettre pour moi tout seul, quel merveilleux cadeau pour un enfant de 5 ans !
J’ai cédé, je suis resté avec Maman, dernier baiser, dernier regard
Quelques heures après cet enlèvement, notre voisine secrétaire bénévole de la mairie du village où nous nous étions réfugiés, vient nous prévenir qu’on devait également nous arrêter le lendemain.
Ce n’est qu’aujourd’hui en vous racontant mon histoire que j’éprouve cette étrange sensation d’avoir échappé à cette arrestation grâce à notre voisine, mais aussi grâce à mon papa.
Nous avons fui, nous nous sommes cachés, on nous a cachés, passés clandestinement en Suisse dans des conditions de froid intense, nous avons attendu 16 mois la fin de la guerre, pour vite revenir à Paris pour être là quand papa reviendrait.
L’hôtel Lutétia, vous connaissez, je ne vous en parlerai pas.
Ce n’est que le 18 juin 1981, grâce à Serge Klarsfeld et ses amis, que mon papa a pu enfin quitter ce ciel maudit de Pologne pour retrouver une identité sur le mur de Roglit.
Quand on a vécu la Shoah, même en tant qu’enfants cachés se taire est impossible. A la demande de Valérie j’avais préparé un petit texte à vous lire mais allez vous me croire, suite à un curieux événement, j’ai volontairement oublié mon texte à la maison. !
Est-ce parce qu’autrefois un petit garçon de 5 ans a tant espéré une lettre, qu’un enfant de 75 ans la reçoit enfin le jour de Yom Ha Shoah.
Exactement 2 566 jours et quelques minutes…après notre séparation.
D’où vient-elle ?
Auschwitz ? Treblinka ? Maïdaneck ? Belzec ? Sobibor ? Dachau? Buchenwald? Mauthausen ? Bergen-Belsen?
L’important, l’important sont les trois premiers mots, en trois mots tout est dit.
Mon fils chéri.
Papa, j’aurais vraiment préféré que tu commences ta lettre par la fin, le commencement trop difficile à lire, à raconter. L’avoir reçue prouve que le petit Caporal n’a pas gagné…Dis moi Papa, de Là-bas aurais-tu pu seulement imaginer cette réalité, tes deux petits enfants que tu n’as pas eu le temps de connaître, qui malheureusement ne t’ont pas connu, ces deux grands enfants aujourd’hui présents à Roglit, hier en uniforme de l’armée d’Israël. L’as-tu seulement imaginé ou même rêvé ? L’année prochaine à Jérusalem devenu enfin réalité
Je croyais tout savoir sur Auschwitz, mais ta lettre me prouve le contraire… Auschwitz crime infini dont l’horreur s’approfondit à mesure que je te lis. Chaque mot m’apprend quelque chose de nouveau, une invention révoltante, un supplice ingénieux, faire du savon et des abat-jour avec la peau des déportés, il fallait y penser…Papa ta lettre, c’est trop de souvenirs inexistants pour un enfant de cinq ans quand il s’agit de raconter ce qui nous dépasse.
Comment donner aux mots le sens qu’ils méritent ?
Comment parler de tout cela quand il s’agit de meurtres de plus d’un million d’enfants, du désir fou d’anéantir tout un peuple.
Quel mot employer ? Stupeur, horreur, mal absolu, crime, atrocité, monstruosités, génocide, extermination, Shoah, crime contre l’humanité…
Aucune langue au monde ne peut traduire ce que tu me décris. Aucune langue humaine ne possède le mot fumée quand il s’agit d’une fumée de cendres, de cendres de femmes, d’hommes et d’enfants. On ne peut appeler chien un animal qui dévore le bébé que sa maman tient tendrement dans ses bras. Le mot camp ne peut designer Auschwitz quand Auschwitz a assassiné plus d’un million de Juifs.
Papa j’ai aujourd’hui presque deux fois l’âge que tu avais quand ils t’ont forcé à nous abandonner, cela me donne le droit de te poser quelques questions.
Quand as-tu compris qu’on ne revient jamais d’Auschwitz…?
Quand as-tu compris que tu n’étais qu’un mort en sursis ?
Quand ce cauchemar a-t-il dépassé en horreur toute réalité que l’on ne puisse imaginer ?
Quand ils t’ont poussé dans ces wagons plombés au milieu d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, sans pain, sans eau, sans hygiène, après trois jours et trois nuits de train, sans lumière, avec presque pas d’air tu te retrouves entouré de cadavres debout, sur ce quai d’une fausse gare qui doit vous conduire, des gaz aux flammes, de l’enfer au néant.
Dans cette fausse gare, sur ce faux quai, sur cette vrai rampe, un monstre à tête de mort, visage impassible désigne d’un geste du doigt, à la cadence d’une seconde par geste à gauche à droite, à droite, à gauche…A gauche les femmes, les femmes avec leurs enfants, les enfants sans leur maman, les vieux, vieux à partir de 40 ans, les malades, les vieillard. Et les bébés. Eux sont dirigés sur des camions qui les emportent…Tu ne le sais pas encore, Eux on ne les verra plus jamais.
Mais tu as eu peut-être la chance, ou la malchance, cela dépend de la suite, d’être dans la file de droite, celle autorisée à rentrer dans le camp, te voilà devenu esclave…Mais pour combien de temps ?
Tatoué, numéroté dans ta chair, travaillant dix heures par jour, soulevant des pierres plus lourdes que toi, vous dormez à 6 par châssis, à 1 000 par baraque dans le froid ou la chaleur, la crasse, le choléra, la puanteur, la faim, la soif, entouré de poux, de rats, tu vas voir ce qu’aucun être humain n’aurait dû voir…Ce qu’un homme à Auschwitz peut faire à un autre homme…Quand un kapo frappe, comme ça, pour rien, juste pour s’amuser, juste pour tuer, un déporté qui comme toi à tant lutté pour survivre, pour revenir, pour pouvoir raconter, pour témoigner, pour nous apercevoir une dernière fois.
Comme des bêtes pour l’abattoir
Combien de sélections as-tu subi défilant nu devant un médecin, oui un médecin, mais un médecin nazi, qui va décider en moins d’une seconde ceux qui vont mourir demain et ceux qui peuvent encore travailler.
Tu le sais survivre à Auschwitz, Sobibor, Treblinka est presque impossible, mais tu t’accroches, tu veux tant nous revoir même un jour, même une heure…
Chaque matin, l’appel… Trois heures du matin, il fait encore nuit, on vous oblige à sortir les morts de la baraque, même eux ne doivent pas manquer l’appel. Pieds-nus dans tes sabots, nu dans ton pyjama rayé, tu restes debout trois heures, quatre heures, par moins 20, moins 30 degrés, autour de toi, ils sont combien à tomber sans plus jamais se relever ?
Le travail rend libre…Libre de mourir.
En rang par cinq, au pas vous sortez du camp, à votre passage l’orchestre joue des marches militaires. Au retour on vous oblige, au garde-à-vous, à assister aux pendaisons, là on joue Schubert ou bien Wagner.
Qu’as-tu pensé quand il t’ont emmené près de cette cheminée qui jour et nuit, crache une fumée noire de cendres. Quand tu as aperçu ce long cortège de déportés sélectionnés pour être incinéré, poussés, jetés dans les chambres à gaz, t’ont-ils obligé à enfourner ces cadavres dans les fours crématoires ?
Comment survivre encore un jour, encore une heure dans cet enfer quand on risque d’être assassiné à chaque minute qui suit ?
Papa répondre à ta lettre n’est pas chose facile, ignorant totalement ta dernière adresse. Finalement il n’y a qu’à Roglit, seule pierre tombale pour nos déportés, en ce jour de Yom Ha Shoah où je peux te répondre, allumer une bougie et prononcer Kaddish.
M. Robert SPIRA
Papa de Valérie Spira Shapira et David Spira