Et maintenant, patron de presse ! En prenant le contrôle de «La Provence» et des autres quotidiens méridionaux de GHM, Bernard Tapie ajoute une nouvelle ligne à son interminable CV. A 70 ans, il a presque tout fait : chanteur, vendeur de télés, repreneur de canards boiteux, animateur, député, ministre, acteur, patron d’équipe cycliste, puis de club de foot… Ouf ! Sans oublier de passer par la case prison : huit mois ferme, en 1997, pour l’affaire du match truqué OM-VA. Avec son énergie, sa gouaille légendaire et l’opiniâtreté de ses redoutables avocats, le Phénix, aujourd’hui richissime, s’est toujours relevé.
On ne peut pas en dire autant des sociétés qu’il a pilotées. Son parcours de manager est semé de cadavres. Celui qui se vantait d’être le «Samu des entreprises» au début des années 1980 n’a en fait jamais redressé la moindre affaire en difficulté. Pas de stratégie sérieuse, pas d’investissements, mais beaucoup de licenciements. Profitant des anomalies du droit de la faillite, alors très favorable aux repreneurs, l’homme d’affaires s’est, la plupart du temps, contenté de les dépecer à son profit, comme pour les balances Terraillon, ou de les revendre au prix fort une fois dégraissées, comme avec les piles Wonder. Même l’OM et Adidas croulaient sous les dettes lorsqu’il a dû les abandonner. Avec un tel palmarès, on comprend mieux l’inquiétude des salariés de «La Provence»…
Le business Tapie sur les 30 dernières années
1980 : Duo de choc
Bernard Tapie rencontre Jean-Louis Borloo, jeune avocat spécialisé dans le droit des faillites. Pendant dix ans, le duo écume les tribunaux de commerce. A l’occasion, il vient donner des conseils décoiffants aux étudiants, comme ici en 1983 à l’ISA (Institut supérieur des affaires). Ephémère ministre des Finances en 2007, Borloo est à l’origine de l’arbitrage avec l’Etat dans le dossier Adidas, qui a rapporté 390 millions d’euros à son vieux copain.
1980 : Manufrance
En venant à la rescousse de la société de VPC en dépôt de bilan, Tapie accède à la célébrité médiatique. Après un épisode rocambolesque, il obtient l’exploitation de la marque, puis propose un plan de relance. En fait, il organisera le démantèlement du groupe centenaire, liquidé début 1986.
1981 : La Vie claire
Séduit par son bagou, le fondateur octogénaire cède à Tapie ses magasins bio en difficulté. L’équipe cycliste du repreneur porte les couleurs de la marque, mais les 250 boutiques ferment les unes après les autres. Il n’en restera que la moitié lors de leur revente en 1996 par le CDR, qui gère le passif du Crédit lyonnais.
1982 : Terraillon
Héritier du fabricant de pèse-personne en dépôt de bilan, Marc Terraillon le cède à Tapie pour 1 franc. Le repreneur encaisse chaque mois de gros honoraires de conseil, mais ne fait aucun investissement. L’usine savoyarde finit par fermer en1993. La marque sera, elle, cédée par le CDR (liquidateur des actifs pourris du Crédit lyonnais) à un fonds irlandais.
1983 : Look
En reprenant pour 20 millions de francs le fabricant moribond de fixations de skis de Nevers, Tapie gagne l’amitié du maire, Pierre Bérégovoy. Cette fois, il innove en lançant la pédale de sécurité pour vélos et revend la société en 1988 pour 260 millions de francs à un industriel suisse.
1984 : Wonder
Avec 30 millions de francs prêtés par sa banque, Tapie s’offre le fabricant de piles en déclin. Il licencie 600 salariés, puis acquiert, avec Francis Bouygues, Saft-Mazda. Le tout est revendu en 1988 à l’américain Ralston, qui ferme les usines françaises. Gain pour Tapie : 470 millions de francs.
1986 : Ecoles
Tapie Prétendant pouvoir transformer en quatorze semaines des jeunes sans emploi en supervendeurs, Bernard Tapie ouvre sa première école à Béziers, avec l’aide de la chambre de commerce. Quatre autres suivront, dont une à Marseille, jusqu’à leur fermeture en 1995. Au final, 3 000 élèves ont suivi ces cours express de «gagneur».
1986 : OM
A la demande du maire de Marseille, Gaston Defferre, Tapie prend les rênes du club, qui remportera la Coupe d’Europe en 1993. En dépit de cet exploit, le bilan financier est catastrophique. Plombé par ses dettes, l’OM dépose le bilan en 1995. Il est repris par une SEM et racheté deux ans plus tard par Robert Louis-Dreyfus.
1990 : Adidas
Tapie convainc les héritières de la marque allemande de la lui céder au prix bradé de 1,6 milliard de francs. Incapable de redresser le groupe, il le cède à son tour en 1993, pour 2 milliards de francs, à sa banque, le Crédit lyonnais. Laquelle le revend à nouveau, cinq fois plus cher, à Robert Louis-Dreyfus. Au terme d’un long contentieux, Nanard récupère 390 millions d’euros, en 2008. Aux frais du contribuable.
2012 : «La Provence»
Associé à 50-50 avec Philippe Hersant, Tapie parvient à reprendre le groupe de journaux GHM surendetté («La Provence», «Nice-Matin», «Corse-Matin»). Joli coup financier : les banques créancières acceptent de le leur céder pour 51 millions d’euros, après un abandon de créances de 165 millions ! Problème : le projet managérial et éditorial du nouveau boss est des plus flous.
Olivier Drouin
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