En ce froid mardi de novembre, à quelques pixels de la rivière Sihl, à Zurich, la cantine de Google a quasiment fait le plein. Il est pourtant 19 heures passées dans ce centre de recherche du géant américain, le plus important au monde après celui des Etats-Unis, avec 800 ingénieurs. Il faut dire que la firme se dépense pour inciter ses troupes à rester tard. Poufs et transats tous les trois mètres, bibliothèque cosy, forêt vierge reconstituée, aquarium géant et télécabines de montagne pour s’isoler… les «Zooglers», comme ils se surnomment, jouissent d’un confort optimal qui renforce leur créativité.
La recette semble fonctionner : Google vient de terminer deuxième au classement des entreprises les plus innovantes du monde établi par le cabinet d’analystes Booz&Company et troisième à celui de «Fast Company», la bible des affaires aux Etats-Unis. Des distinctions qui récompensent la stratégie de Larry Page, le cofondateur du groupe avec Sergey Brin, revenu aux commandes au printemps 2011. Celui-ci a supprimé des dizaines de services inutiles et recentré la recherche sur quelques innovations phares, telles les lunettes-écran Google Glass et la voiture sans pilote. Mais ses labos recèlent bien d’autres projets, à la fois pratiques, excitants mais aussi très intrusifs. Certains feront hurler les défenseurs de la vie privée. Capital a pu pénétrer au cœur de l’innovation du groupe et rencontrer plusieurs de ses pointures pour en dresser la liste, et faire un pronostic sur leur date de sortie.
Ce qui sortira en 2013
L’audioguide d’extérieur. Fin octobre, John Hanke, une star de la maison – il a créé Google Earth, le site qui permet de survoler le monde entier en images satellite – était en vacances en Israël. Là, il a mesuré tout l’intérêt de sa dernière création, l’application pour smartphone Field Trip. «Je roulais vers Haïfa quand j’ai reçu une alerte m’encourageant à m’approcher des ruines submergées d’Atlit, juste à côté. C’était fascinant.» On l’aura compris, Field Trip est une sorte d’audioguide grandeur nature qui géolocalise son utilisateur et le prévient de la présence de sites touristiques autour de lui. On peut ensuite lire une fiche descriptive sur l’écran du téléphone ou l’écouter dans une oreillette. «L’appli joue le rôle d’un ami du coin, qui vous raconte l’histoire du quartier et vous donne les adresses des bons restos», poursuit Hanke. Proposé aux Américains sur les appareils Android (la plate-forme créée par Google) depuis septembre, Field Trip sera offert aux Français avant fin 2013, ainsi que sur l’iPhone.
La télé à portée de chacun. Qui n’a jamais rêvé de lancer sa propre chaîne ? YouTube, la filiale vidéo de Google, permet déjà aux vidéastes amateurs du monde entier de diffuser leurs clips sur la Toile. Demain, ils pourront accéder gratuitement à de véritables studios télé pour enregistrer leurs programmes en qualité professionnelle. Le premier vient d’ouvrir à Londres, dans le quartier de Soho. D’autres suivront en Europe dans les prochains mois. «Nous mettons à leur disposition des bancs de montage, des salles de contrôle et des caméras professionnelles», annonce David Ripert, un ancien producteur de cinéma («Terminator 3», «Basic Instinct 2») aujourd’hui passé chez Google pour développer cette activité.
Le jeu de piste sur smartphone. Si vous voyez des ados, le téléphone portable sorti, tourner autour d’une statue pendant plusieurs minutes, ne vous étonnez pas. Ils jouent à Ingress, une application pour smartphone révolutionnaire, disponible pour l’instant seulement sur invitation. Le principe ? Après avoir choisi d’appartenir au camp des «éclairés» ou à celui des «résistants», le joueur doit glaner des munitions en parcourant – réellement – les rues de sa ville puis attaquer les positions ennemies situées symboliquement sur des sites visibles (musées, fontaines…) du monde entier. On commencera déjà par attaquer les ennemis de son quartier… «Je voulais encourager mon fils à découvrir la réalité autour de lui», sourit John Hanke, qui a développé Ingress, comme Field Trip, au sein du Niantic Labs, une structure discrètement installée à San Francisco, à l’écart du siège de Google. «Nous avions besoin de temps et de confidentialité.»
… d’ici 2015
Les lunettes-ordinateur
débarqueront en 2014. Avec cette monture sur
le nez, nos e-mails, la carte des environs ou une page Web apparaîtront directement sous nos yeux, en surimpression de la réalité.
Sur simple commande vocale, la caméra incrustée dans les lunettes prendra une photo ou une vidéo. On pourra même commander en ligne l’objet filmé. Un récent brevet prévoit d’associer différents objets aux lunettes,
tels un bracelet, un gant,
un ongle artificiel ou, comme ici, une bague. Une liaison infrarouge identifiera les mouvements
de l’anneau. On pourra donc tourner une page virtuelle d’un simple geste d’essuie-glace, ou cliquer sur un site.
La cartographie intégrale. Les utilisateurs d’iPhone n’attendent que ça : le retour sur leur écran de l’application Google Maps, qu’Apple avait éjectée à l’automne pour favoriser ses propres cartes, malheureusement catastrophiques. Selon nos informations, celle-ci sera encore meilleure que l’ancienne, puisqu’elle reprendra toutes les fonctionnalités de celle d’Android, notamment un GPS qui contourne les bouchons et la sauvegarde des cartes, qui permet de les utiliser à l’étranger sans connexion Internet.Mais, au-delà de ce portage, Google mijote bien d’autres innovations cartographiques. Le service Street View, grâce auquel on se promène virtuellement dans les rues du monde entier, sera bientôt étendu aux pistes de ski, aux allées des centres commerciaux et même à des sites difficiles d’accès comme le Grand Canyon. Dans quelques mois, les courageux qui vont au travail en bicyclette pourront aussi obtenir sur Google Maps un trajet multimodal, associant pistes dédiées, lignes de transport en commun et parcours piéton. «On indiquera même où garer son vélo dans la gare», s’enthousiasme Kai Hansen, le responsable de ce service à Zurich. A plus long terme, Google compte personnaliser les cartes. «Vous ne voyez pas le monde comme moi, nous allons reproduire cette différence», explique Raphael Leiteritz, le patron de Google Maps pour l’Europe. Sur les plans de demain, un internaute localisera donc les endroits déjà évalués par ses amis, des magasins de montagne s’il est skieur et des restaurants haut de gamme s’il est plutôt gourmet.
La montre intelligente. C’est encore tout chaud. Début octobre, l’Office américain des brevets a publié un document dans lequel Google dévoile un concept de «montre intelligente». Tactile, connectée au Web et géolocalisée, celle-ci dispose d’un deuxième écran qui s’ouvre comme un clapet pour afficher vos e-mails ou vous guider sur la carte des environs. Dans l’un des schémas, les inventeurs de la firme montrent aussi comment, lorsqu’elle est positionnée devant un paquet de café, elle peut détailler son prix, son poids et ses données nutritionnelles. Au fait, elle donne l’heure aussi.
La recherche prédictive. Amit Singhal aura dû attendre ses 42 ans pour réaliser son rêve de gamin. «J’ai passé mon enfance à regarder “Star Trek”, raconte à Capital ce vice-président de Google, qui dirige la R & D du moteur de recherche. J’étais fasciné par l’ordinateur de la navette qui répondait à tout. Nous y sommes presque.» Progressivement, les résultats vont devenir plus personnalisés : il vous suffira de taper «mon vol» pour voir apparaître les horaires de votre prochain Paris-New York récupérés dans votre boîte Gmail. De même que les avis de vos amis du réseau Google Plus sur les restaurants de Bordeaux apparaîtront en premier lorsque vous en chercherez un. Mais Google veut aller encore plus loin. Fin octobre, la firme a demandé à 150 cobayes de leur indiquer, à plusieurs moments de la journée, ce qu’ils aimeraient savoir à cet instant précis. Son objectif : envoyer sur notre smartphone des réponses aux questions que l’on ne s’est pas encore posées, comme la longueur de la queue dans le magasin où l’on se rend ou l’horaire du prochain train de banlieue que l’on doit prendre.
… Après 2015
La Google Car roulera aux alentours de 2017. Après le Nevada, la Californie vient à son tour d’autoriser cette voiture sans pilote à rouler sur ses routes. Bardée de radars et de capteurs et guidée par GPS, elle a déjà parcouru 80 000 kilomètres sans le moindre accident. Google espère la vendre en 2017.
Gilles Tanguy
© Capital