Il y a une constance chez Benyamin Nétanyahou : la force est sa référence et son principe d’action. En 1996, le slogan de la campagne électorale qui devait lui permettre de devenir, à 46 ans, le plus jeune premier ministre de l’histoire d’Israël était : « Un leader fort pour une nation forte. » En 2009, il redevient chef du gouvernement avec une autre devise : « Fort sur la sécurité, fort sur l’économie. »En 2013, alors qu’il a de grandes chances d’être le premier homme politique à obtenir un troisième mandat pour diriger l’Etat juif, sa profession de foi se réduit à l’essentiel : « Un premier ministre fort pour un Israël fort. »
Certains de ses critiques voient dans cette auto proclamation d’un caractère bien trempé un aveu de faiblesse, en tout cas un manque d’assurance, comme si, contrairement à Itzhak Rabin, Menahem Begin, Ariel Sharon et plus encore David Ben Gourion, des hommes qui n’ont jamais éprouvé le besoin de convaincre de leur détermination, il projetait, en creux, un sentiment d’insécurité. Tous étaient des hommes d’Etat mais, bizarrement, en dépit de sa longévité politique, à la question de savoir si Benyamin Netanyahou fait partie de cette race-là, on est tenté de répondre par la négative.
Tacticien roublard, manoeuvrier souvent exemplaire, « grand communicateur », incontestablement. Pragmatique, opportuniste, prêt à bien des zigzags pour sa survie politique, assurément. Mais, comme l’ancien président américain George H. Bush qui, en 1987, se moquait de ce « truc de la vision », Benyamin Nétanyahou, à force d’avoir laissé échapper ces trois dernières années les occasions de poser des gestes de paix avec les Palestiniens, semble dépourvu de réflexion, de profondeur stratégique. Il a, sans aucun doute, le sens de l’Histoire, celle du peuple juif, ce « peuple antique dont l’existence remonte à 3 500 ans », mais sa vision est d’abord messianique, presque apocalyptique.
Car l’autre mot-clé qui accompagne la carrière politique de Benyamin Nétanyahou, c’est celui de « peur », celle que doivent éprouver, selon lui, les Israéliens, entourés qu’ils sont d’ennemis qui veulent les faire disparaître… Peur de la bombe nucléaire iranienne, peur d’une troisième Intifada, peur des armes chimiques de Damas, des roquettes du Hamas et du Hezbollah libanais… C’est un fonds de commerce politique, dont il se sert depuis sa première élection à la Knesset, le Parlement israélien, en 1988, ce qui lui vaudra, lors du scrutin parlementaire de 1996, d’être qualifié de « meilleur porte-parole des peurs d’Israël », et dans lequel il a puisé tout au long de cette campagne pour les élections législatives de 2013.
Que ce soit l’expression d’une vraie conviction ou le produit d’un calcul politicien cynique, le résultat est le même : cultiver le perpétuel sentiment d’anxiété et d’insécurité du peuple juif lui paraît être la meilleure façon d’inciter ses concitoyens à faire le choix d’un premier ministre « fort », qui saura conjurer les périls. Si son caractère n’a jamais été testé dans une crise majeure, il est capable de réagir lorsqu’il sent une urgence politique : parce que la colère de la population du sud d’Israël, soumise aux tirs de roquettes, monte dangereusement avant les élections, il lance l’opération « Pilier de défense » contre Gaza en novembre.
A choisir, il préfère être l’homme qui aura préservé la sécurité du pays plutôt que celui qui aura conclu la paix. Ce fil rouge l’a guidé tout au long du mandat qui s’achève, marqué par une politique de colonisation méthodique et une succession de décisions visant à repousser les ennemis intérieurs et extérieurs d’Israël, quitte à faire courir, le long des frontières de l’Etat juif, une succession de clôtures et de murs, quitte à accentuer la mentalité d’assiégés des Israéliens.
Ce faisant, il capte le sentiment profond d’une certaine vox populi israélienne qui demande d’abord la sécurité. C’est pour cela que Benyamin Nétanyahou est souvent en phase avec une société israélienne dont l’idéologie dominante s’est radicalisée. C’est pour cela qu’il ne rate aucune occasion – surtout à la tribune des Nations unies – d’alimenter cette propension anxiogène, de truffer ses discours de références à la Shoah, de comparer le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, à un nouvel Hitler.
Tout cela n’est pas le fruit du hasard. Benyamin Nétanyahou est le petit-fils de Nathan Mileikovski, un rabbin qui vivait dans un village agricole de Lituanie, rapporte son biographe, l’ancien diplomate israélien Freddy Eytan. La familleprendra le nom de Nétanyahou (« don de Dieu », en hébreu), puis la route de la Palestine en 1920.
Le premier ministre israélien n’a jamais caché la profonde influence qu’exerça sur lui son père, Benzion Nétanyahou, historien de l’Espagne de l’Inquisition, qui fut le secrétaire particulier de Zeev Vladimir Jabotinsky, créateur du courant « révisionniste » dans le mouvement national juif, pour qui, contrairement à Ben Gourion (partisan d’un compromis avec les Arabes), le sionisme devait s’appliquer à toute la terre de Palestine.
Ce père spirituel de la droite israélienne, dont le Likoud, le parti de M. Nétanyahou, est l’héritier, aura une grande influence sur les écrits de Benzion Nétanyahou, et plus tard sur son fils. Celui-ci doit son surnom de « Bibi l’Américain » à sa jeunesse passée aux Etats-Unis, à partir de l’âge de 9 ans, puis à son début de carrière comme diplomate à New York, où il excellera sur les plateaux de CNN, ce qui lui vaudra le qualificatif de premier « télépoliticien » de l’Etat juif.
Il y acquerra son accent américain et sa réputation de meilleur connaisseur israélien des Etats-Unis, qu’il ne cessera de souligner, avant qu’elle pâlisse peu après qu’il aura ostensiblement choisi de soutenir le rival malheureux de Barack Obama à l’élection présidentielle de novembre 2012, le républicain Mitt Romney. De brillantes études au Massachusetts Institute of Technology précéderont son retour en Israël, en 1967, où il servira pendant cinq ans dans les rangs du prestigieux bataillon commando Sayeret Matkal.
En dépit de cette formation exemplaire, ses débuts professionnels, qui s’effectuent au sein de l’entreprise de meubles et matelas Rim, ne seront guère prometteurs. Le déclic se fera en 1982, lorsque Moshé Arens est nommé ambassadeur d’Israël à Washington. Il est l’ami de Benzion Nétanyahou et acceptera de prendre son fils comme adjoint. C’est à partir de ce tremplin politique, qui le propulsera – en un peu plus de deux ans – au poste d’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, que Benyamin Nétanyahou entamera une carrière politique météorique.
Vice-ministre des affaires étrangères (gouvernement d’Itzhak Shamir) et porte-parole de la délégation israélienne lors de la conférence de Madrid, en 1991, qui fut la première tentative de la communauté internationale pour lancer un processus de paix au Proche-Orient, il est l’étoile montante du Likoud, dont il deviendra le chef de file lors des élections parlementaires de 1996. Il l’emporte d’une courte tête sur le travailliste Shimon Pérès après avoir su habilement exploiter le réflexe de peur des Israéliens à la suite d’une vague d’attentats meurtriers. A 46 ans, il devient, outre le plus jeune, le premier chef de gouvernement d’Israël né après l’indépendance.
Cependant, depuis quelques années, sa réputation personnelle et politique est contrastée, et elle lui vaut de solides inimitiés. Lorsqu’il deviendra le chef du Likoud, en 1993, David Lévy, ancien ministre des affaires étrangères dont il fut le numéro deux, dira simplement : « On ne félicite pas un menteur. » C’est un étrange qualificatif, dont il n’arrive pas à se débarrasser. Ainsi ce commentaire de Nicolas Sarkozy, en novembre 2011, lors d’un aparté avec Barack Obama : « Je ne veux plus le voir, c’est un menteur ! »
Ce premier mandat de chef du gouvernement ne sera pas un succès. S’il se déclare en faveur de « la continuation du processus de paix, avec la sécurité », c’est pour ménager son image internationale plus que par conviction. Après avoir longtemps pourfendu les accords d’Oslo (1993), il en sera l’un des principaux fossoyeurs et sera accusé d’avoir alimenté le feu de la haine qui devait emporter le premier ministre travailliste Itzhak Rabin, assassiné le 4 novembre 1995. Avocat obstiné de la sécurité à tout prix d’Israël, Benyamin Nétanyahou a fait la preuve, par son absence d’initiatives au cours de ses deux mandats de premier ministre, qu’il n’est pas prêt à prendre des risques politiques personnels au profit de la paix.
Son premier mandat sera marqué par une brusque explosion de violence des Palestiniens après que la municipalité de Jérusalem eut autorisé l’ouverture d’un tunnel archéologique en contrebas de l’esplanade des Mosquées, par la création de l’importante colonie d’Har Homa, à Jérusalem-Est, et par le fiasco de la tentative d’assassinat, à Amman, de Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas. Il est volontiers arrogant et sa propension à exaspérer ses interlocuteurs américains est ancienne. Elle se manifestera avec éclat lors du premier mandat présidentiel de Barack Obama. Faucon conservateur, il est cependant prêt à des retraites stratégiques lorsque son intérêt politique est en jeu.
Il dit qu’il ne signera pas d’accord avec Yasser Arafat, alors président de l’Autorité palestinienne, et qu’il ne rendra rien du territoire de la Cisjordanie, mais il accepte de restituer aux Palestiniens 80 % de la ville d’Hébron, et il signera les accords deWye Plantation qui prévoient (ils n’ont pas été appliqués) l’évacuation de colons juifs de Cisjordanie. Dans les deux cas, c’est sous la pression de Washington qu’il se décide à lâcher du lest.
Il va continuer à faire montre d’un certain pragmatisme au début de son second mandat, en 2009, avant de se raidir et d’ouvrir une grave crise diplomatique avec le président américain. Longtemps, Benyamin Nétanyahou a assuré qu’il n’accepterait jamais le principe d’un Etat palestinien. C’est pourtant ce qu’il fait, le 14 juin 2009, à l’occasion d’un discours à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv. Plus tard, il s’engagera à ne pas accepter un gel de la colonisation ; mais il s’y résout cependant, pendant une période de dix mois.
Le fait que Barack Obama ait annoncé que la solution de deux Etats constituerait une priorité de son administration n’est pas pour rien dans cet aggiornamento. Dix jours avant l’allocution de Bar-Ilan, le président américain, dans un discours au Caire, a tendu la main au monde musulman et souligné que l’Amérique n’acceptait pas la poursuite de la colonisation. Tout montre que l’acceptation par M. Nétanyahou d’un Etat palestinien était d’abord tactique, et très conditionnelle : Israël serait prêt à accepter un Etat palestinien démilitarisé à condition que Jérusalem reste la capitale unifiée de l’Etat juif et que les Palestiniens renoncent au droit au retour des réfugiés.
Pendant un an, jusqu’à septembre 2010, date de la mise en hibernation du processus de paix, une partie de bras de fer va se jouer entre le premier ministre israélien et l’administration Obama. George Mitchell, l’émissaire américain pour le Proche-Orient, va multiplier les navettes, de plus en plus stériles. Le processus de paix a repris le registre d’une comédie diplomatique tissée de « dates butoirs », de« concessions sans précédent », de « mesures de confiance », de « discussions de proximité » qui deviennent « indirectes » avant de cesser complètement.
« Bibi » Nétanyahou mène un jeu qui semble affranchi de toute perspective historique : gagner du temps, durer, et surtout garder intacte sa coalition gouvernementale. Sa posture tient en peu de mots : négocier (avec les Palestiniens) toujours, ne conclure (la paix) jamais ; et surtout préparer le terrain pour que le blâme d’une rupture des négociations retombe sur la partie palestinienne. Tout au long de son second mandat, M. Nétanyahou répétera ce mantra : « Israël n’a pas de partenaire palestinien pour la paix. »
Le premier ministre israélien a tablé sur le fait que, flanqué d’une majorité républicaine au Sénat, avec les élections à mi-mandat à l’horizon, puis sa réélection, Barack Obama serait tôt ou tard forcé de lui laisser la bride sur le cou sur la colonisation. Les faits lui ont donné raison. En mars 2010, alors que le vice-président américain Joe Biden est à Jérusalem, le gouvernement israélien annonce la construction de 1 600 nouveaux logements dans une colonie de Jérusalem-Est. Les Américains parlent d’« affront », réservent à M. Nétanyahou une visite humiliante à Washington, avant que le président Obama ne réaffirme les« liens indéfectibles » qui unissent Israël à l’Amérique et oppose son veto, en février 2011, à une résolution de l’ONU condamnant la colonisation. « Bibi » ne boudera pas son plaisir : « Les Etats-Unis ont compris que les discussions sur la question mineure de la colonisation ne menaient à rien. »
Le gouvernement israélien n’a dès lors plus aucune raison de faire preuve de modération. Le résultat de cette politique se lit en quelques chiffres : selon l’organisation israélienne Ir Amim, 6 932 unités de construction ont été approuvées en 2012, contre 1 772 logements en 2011 et 569 en 2010. L’erreur serait cependant de croire que les relances successives de la construction en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne sont que des sanctions contre l’Autorité palestinienne.
Si ce fut le cas lorsque celle-ci a été admise au sein de l’Unesco, lorsque le Hamas et le Fatah ont signé un accord de réconciliation, lorsque la Palestine a été admise comme Etat observateur non membre à l’ONU, M. Nétanyahou n’agit pas de façon impulsive. Il mène une politique planifiée de longue date, celle, estime-t-il, des « pères » de l’Etat juif, qui vise à occuper le plus possible la terre historique d’Israël et à construire partout dans le « grand Jérusalem » afin de rendre impossible tout retour en arrière, et d’empêcher les Palestiniens de réaliser leur voeu de fairede la partie arabe de la Ville sainte la capitale de leur futur Etat.
S’il a, pour mener ce dessein, les mains libres, c’est parce que la Cisjordanie est calme : la coopération entre l’armée israélienne et les forces de sécurité palestiniennes fonctionne plutôt bien, et la « paix économique » favorisée par M. Nétanyahou dans les territoires occupés conforte les efforts déployés par le premier ministre palestinien, Salam Fayyad, pour faire émerger un Etat de droit en Palestine.
Les gouvernements étrangers multiplient les avertissements s’agissant du caractère politiquement suicidaire d’une stratégie qui, par cette fuite en avant dans la colonisation, interdit peu à peu la solution de deux Etats. Cette politique est« diamétralement opposée aux intérêts existentiels d’Israël », tance l’ancien premier ministre Ehoud Olmert ; parce qu’elle est une recette pour un Etat binational, renchérit l’écrivain israélien Amos Oz, « le gouvernement Nétanyahou est le plus antisioniste qu’Israël ait jamais eu ».
Benyamin Nétanyahou, comme frappé de cécité historique, ignore l’inquiétude et les condamnations de la communauté internationale. Ceux qui le connaissent bien le disent habité par la conviction d’un double destin : être le premier ministre qui aura évité à Israël un « second Holocauste » voulu par les mollahs iraniens ; être l’homme du refus d’un accord avec les Palestiniens qui imposerait à Israël un retour aux frontières d’avant la guerre de 1967.
S’il n’y a pas divorce entre la société israélienne et ce que « Bibi » Nétanyahou considère comme sa responsabilité historique, c’est aussi parce qu’il y a dans la mentalité collective israélienne une impression trompeuse de quiétude, presque d’invincibilité, fondée sur la puissance militaire, la prospérité économique et la certitude que le soutien de l’Amérique est inébranlable. M. Nétanyahou a apporté aux Israéliens la sécurité, et, pour beaucoup d’entre eux, c’est l’essentiel. Quant à la paix, nombre d’hommes politiques israéliens aiment à rappeler un dicton local :« Au Proche-Orient, seuls les forts survivent »…
Laurent Zecchini – Jérusalem, correspondant