Les aveugles ne peuvent pas voir avec leurs yeux mais ils peuvent utiliser leur cortex visuel s’ils arrivent à l’activer grâce au son, notamment grâce à des dispositifs de substitution sensorielle (SSD). Des chercheurs de l’université hébraïque de Jérusalem, associés à des chercheurs français viennent de publier un article dans la prestigieuse revue Neuron [1].
Ils ont constaté que des personnes aveugles de naissance qui utilisent des équipements vidéo et sonores spécifiques peuvent réellement « voir », décrire des objets et même identifier des lettres et des mots. L’étude menée par Prof. Amir Amedi du Center for Brain Science de HUJI et la doctorante Ella Striem-Amit, en collaboration avec les professeurs Laurent Cohen, de l’université Pierre et Marie Curie, et Stanislas Dehaene, de l’INSERM et membre du Collège de France, montre comment cet exploit est rendu possible grâce à l’utilisation d’un dispositif de substitution sensorielle (SSD).
Ce système non-invasif permet à l’utilisateur de recueillir des informations visuelles à l’aide de ses autres sens. Par exemple, avec un SSD « vision-vers-ouïe » l’utilisateur porte une caméra miniature et des écouteurs qui sont connectés à un petit ordinateur ou smartphone. Les images sont traduites en « paysage sonore » à l’aide d’un algorithme, ce qui permet à l’utilisateur d’écouter et d’interpréter l’information visuelle fournie par la caméra.
Les participants aveugles qui ont utilisé ce dispositif ont atteint un niveau d’acuité visuelle supérieur au seuil de cécité défini par l’Organisation Mondiale de la Santé. L’étude montre qu’après 70 heures d’un paradigme d’entraînement spécifique, les participants ont facilement pu utiliser le SSD pour classer des images selon différentes catégories : visages, maisons, silhouettes, objets quotidiens etc. Ils ont également pu identifier des éléments plus complexes : localiser la position de personnes, identifier une expression faciale, et lire des lettres et des mots.
Les chercheurs sont allés plus loin en examinant par IRM ce qui se passe dans le cerveau des participants pendant cet entraînement. Ils ont plus particulièrement observé si le cortex visuel supposé « inactif » chez ces personnes aveugles de naissance, était stimulé, et ce bien que l’information soit sonore et que cette nouvelle capacité n’ait été acquise qu’à l’âge adulte. De façon surprenante, non seulement le cortex visuel était activé par les sons, mais en plus, une sélectivité des zones du cerveau activées typique des cerveaux « voyants » a été observée.
Une zone spécifique du cerveau appelée « aire de la forme visuelle des mots » (Visual Word Form Area, VWFA) est très sélective et est activée par la vue de lettre et de mots plus que par tout autre objet visuel. Chez les personnes voyantes, cette aire a un rôle important la lecture. Le même phénomène a été observé chez les non-voyants, cette aire spécifique était activée plus intensément et de façon sélective par des lettres et des mots après quelques heures d’entraînement. Les chercheurs ont découvert que cette aire du cerveau était si malléable, que l’intensité de la stimulation a augmenté significativement après deux heures d’entraînement seulement chez un des participants. « Le cerveau adulte est plus flexible que nous le pensions » explique Prof. Amedi [2]. Cette étude et d’autres études récentes menées par différents chercheurs ont montré que de nombreuses zones du cerveau ne sont pas spécifiques au sens qui leur est associé (vue, ouïe, toucher) mais à la tâche qu’elles effectuent, quelles qu’en soient les conditions.
D’après le Prof. Amedi, cela nous permet de penser que chez les non-voyants, certaines zones du cerveau peuvent être « réactivées » afin de traiter des informations visuelles même après de longues années de cécité si la technologie et l’entraînement adéquats sont mis en place. Ces conclusions éveillent également l’espoir de restaurer ou réhabiliter la vue à l’aide de SSD. « Les SSD peuvent aider les personnes non-voyantes ou ayant une déficience visuelle dans l’apprentissage du traitement d’images complexes, comme l’a démontré notre étude. Ils pourraient également être utilisés en tant qu’interprètes sensoriels, fournissant des données de support de haute résolution et synchrones en réponse à un signal visuel issu d’un autre dispositif, comme des yeux bioniques » explique Amedi.
La « vue » ainsi restaurée dans ces expériences, bien que non conventionnelle puisque qu’elle n’implique pas le système ophtalmologique du corps, n’en est pas moins réelle, dans la mesure où les aires d’identification visuelle du cerveau sont activées.
Source : BE Israël numéro 82 (29/11/2012) – Ambassade de France en Israël / ADIT –http://www.bulletins-