Le grand écrivain israélien AvrahamB. Yehoshua a reçu le prix Médicis étranger pour son ouvrage “rétrospective”. Un livre à lire.
“Rétrospective” est un roman de près de 500 pages qui prend comme fil conducteur la réalisation d’un film. Il met en scène un célèbre réalisateur israélien, Yaïr Mozes, âgé de 70 ans, avec un scénariste, une actrice et un directeur de la photographie.
Une conscience toujours en éveil. Un arbitre dont les avis pèsent lourd aux yeux de l’opinion internationale. Un romancier de haut vol qui, dans ses livres, prend ses distances avec ses engagements politiques pour devenir un musicien de l’intime, un symphoniste du monde intérieur.
Avec Avraham B. Yehoshua, on touche le coeur même de la littérature israélienne : aux côtés d’Amos Oz et de David Grossman, l’auteur de Rétrospective a su, face à la confusion de son époque, préserver la part du rêve, attiser le feu sacré et porter l’écriture à son incandescence pour qu’elle soit un flambeau d’espérance.
C’est dans une Jérusalem encore presque céleste qu’est né Yehoshua, en 1936, au sein d’une famille séfarade. Comme Rivline, le héros de La Mariée libérée, son père appartenait au petit cercle des orientalistes de la ville, des humanistes venus des quatre coins de l’Europe. Ce qu’ils voulaient, c’était connaître en profondeur leurs voisins arabes, les comprendre à travers leur patrimoine culturel afin de vivre en harmonie avec eux. “Mon père a consacré une douzaine d’ouvrages à Jérusalem. Bien que je n’y réside plus, elle est toujours présente dans mes romans et c’est sans doute dans cette ville que je puise l’énergie de mon écriture”, raconte Yehoshua, qui vit aujourd’hui à Haïfa entre mer et montagne, dans une maison où son épouse psychanalyste a longtemps reçu ses patients et où il écrit chaque matin sans craindre d’être dérangé. “Je ne m’isole jamais pour travailler, dit-il, je maintiens une vie de famille normale avec mes enfants et mes petits-enfants. L’écriture est une occupation comme une autre, elle n’est pas prioritaire si d’autres obligations s’imposent.”
Yehoshua a commencé à écrire des nouvelles et des pièces de théâtre pendant son service militaire mais ce n’est qu’après un long séjour à Paris – entre 1963 et 1967 – qu’il s’est frotté au roman, alors qu’il enseignait à l’université de Haïfa. Son oeuvre ? Une dizaine de titres qui forment une tapisserie subtile où le motif intime se mêle constamment à l’Histoire, où les questions existentielles et éthiques sont toujours très concrètement enracinées dans le contexte politique pour montrer comment trois décennies de guerre ont bouleversé la vie spirituelle, les émotions et les amours des Israéliens. “Avec tous ces conflits, notre littérature a gagné beaucoup de vitalité. Le plus important, pour nous, c’est d’analyser les rapports humains et le devenir des sentiments dans un pays livré à la peur et à l’instabilité”, explique Yehoshua, qui écrit “pour ouvrir les coeurs”, en repoussant constamment “la tentation du désespoir”. Et au détour de Rétrospective, il donne une autre clé de son travail : “Par l’art, nos faiblesses et nos humiliations se transforment en beauté.”
De roman en roman, l’inspiration de Yehoshua n’a cessé de se renouveler. Dans L’Amant, il décrit Israël au lendemain de la guerre des Six Jours et montre qu’un abîme s’est creusé dans un pays désormais écartelé entre religion et laïcité. Dans Monsieur Mani, il remonte l’arbre généalogique d’une famille dont le destin est confronté aux dates cruciales de l’histoire juive, depuis 1848 jusqu’à la guerre du Liban. Dans L’Année des cinq saisons, il met en scène un Séfarade oriental tenté par l’Occident, et peu à peu décapité de son identité. Dans La Mariée libérée, il braque son zoom sur une mosaïque sociale complexe où se croisent des Juifs, des Palestiniens et des Arabes d’Israël qui se cramponnent à la même utopie – celle d’une fraternité retrouvée. Et dans Le Responsable des ressources humaines, il mêle le polar et la parabole politique pour raconter – lors d’un attentat suicide à Jérusalem – la mort tragique d’une femme dont personne ne vient réclamer le corps, comme si elle n’avait plus de filiation dans une société orpheline de ses espérances.
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