Article de Lali Derai pour Aroutz 7 Ses multiples biographes ont quasiment tous péché par désir de voir en Herzl le dirigeant sioniste qu’ils auraient voulu qu’il soit. Une bonne partie d’entre eux a tout simplement planté la flèche pour ne dessiner la cible qu’ensuite: Herzl devait être le père du post-sionisme; il devait être assimilé, n’accorder aucune importance au judaïsme, prôner la conversion au christianisme, se désintéresser de savoir si l’Etat des Juifs devait se trouver en Eretz Israël ou en Ouganda. Il devait? Il sera décrit comme tel.
Dans un livre passionnant, rempli de sources écrites recueillies patiemment depuis huit ans, le Dr George Weisz propose une nouvelle lecture de Herzl, une réhabilitation, mais surtout une réactualisation.
Réhabilitation, parce que pour une très grande partie du monde religieux, même parmi les sionistes, le nom de Théodore Herzl dérange. Il gêne. Pour certains orthodoxes, il est l’essence du mal. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de me rendre dans un séminaire pour jeune filles, dans une des villes du Sud du pays: c’est là qu’on m’a expliqué que « même l’Enfer ne voulait pas de Théodore Herzl ».
Le Dr Weisz décortique une par une dans son livre les affirmations autour de la personnalité de Herzl. Il les replace dans leur contexte, les compare avec les écrits même du « fondateur » du sionisme, et prouve sans le moindre doute qu’on nous a menti. Trompé.
Non, Herzl ne venait pas d’une famille assimilée: son grand-père, Reb Shimon Leib, était gabbaï de la synagogue et était Hazan lors des offices de Rosh Hashana et Yom Kippour. Son père était un fidèle de la synagogue de Budapest. Herzl a fait sa Bar Mitsva dans le plus pur rite orthodoxe.
Non, il ne haïssait pas les rabbins: au contraire, il voyait en eux la poutre mère de l’édifice sioniste. Il estimait cependant que les rabbins devaient être considérés comme l’autorité morale de l’Etat à naitre et ne devaient pas s’immiscer dans les débats politiques. Sa correspondance avec de nombreux rabbins, dont en particulier le Rav Moholiver et le Rav Reines, toute empreinte d’un respect plus que profond, est là pour nous le prouver.
Non, Herzl ne prônait pas la conversion au christianisme: au début de son journal, il décrit bien un fantasme, totalement irréalisable, selon lequel seuls les enfants juifs (Herzl souligne bien que lui-même resterait Juif jusqu’à la fin de ses jours) seraient convertis. Mais plusieurs points sont à souligner: tout d’abord, il s’agit d’un fantasme, né de la souffrance incommensurable ressentie par Herzl face à la douleur de son peuple, souffrance ressentie au plus profond de son être. D’autre part, Herzl n’a jamais tenté de réaliser ce fantasme et, sans cette phrase de son Journal, nous n’en aurions jamais rien su. Mais, comme toujours, c’est cette phrase assassine qui est restée dans la mémoire collective, dûment nourrie par les biographes peu xifs du père du sionisme moderne.
Non, le discours d’Herzl n’était pas dénué de références au judaïsme: il en était rempli. Le nom de D.ieu apparaît des centaines de fois dans son Journal, dans son livre, l’Etat Juif, dans ses discours, dans sa pièce Altneuland (le Pays ancien-nouveau). Pour lui, « le sionisme est un retour à la judéité avant même d’être un retour au pays des Juifs » (dans son discours d’ouverture du premier Congrès sioniste). Il assimilait le retour à la terre d’Israël à une nouvelle sortie d’Egypte, dans le sens métaphysique de cette sortie. Selon lui, la relation à la terre d’Israël était conditionnée par une prise de conscience de l’identité juive.
Non, Herzl ne pensait pas que l’Etat juif pouvait s’établir en Ouganda. Il s’agissait là de « sauver les meubles », de trouver une »solution » momentanée quelques mois après le terrible pogrom de Kichinev. Il a cru bon, en commune mesure avec son honnêteté intellectuelle, et également par politesse à l’encontre du gouvernement britannique, de présenter aux membres du Congrès sioniste cette proposition. Mais il ne le fit que dans le but d’asseoir ce début de reconnaissance politique du mouvement sioniste. Il voyait en cette proposition un engagement du gouvernement de Sa Majesté de favoriser la création d’un Etat juif.
Réhabilitation donc, mais pas uniquement. Il s’agit aussi, et surtout, d’une réactualisation de Herzl. Car, et c’est ce que dénonce le Dr Weisz, tout l’histoire du sionisme moderne repose sur des axiomes totalement erronés, véhiculés par ceux qui ont transformé Herzl en post-sioniste avant l’heure. Et ce sont ces axiomes qui sont à la base de tous les problèmes identitaires que traverse notre pays. Ce serait donc en rétablissant la vérité autour du fondateur du sionisme, qui désirait plus que tout unir à nouveau le peuple à son identité juive, que l’on parviendra à guérir l’Etat d’Israël de ses maux.
Le but du Dr Weisz n’est pas de « poser une kippa sur la tête de Herzl ». Il est de dénoncer l’attitude de certains courants qui, pour obéir à un projet bien défini, à la nécessité de laïciser l’Etat Juif, ont décidé, dans le meilleur des cas, d’occulter le caractère purement juif de la démarche de Herzl, dans le pire, de modeler l’histoire et le rêve du père du sionisme en fonction de leur philosophie.
Un livre passionnant, à lire et à relire pour comprendre les enjeux de notre histoire…
‘Herzl, une nouvelle lecture’, 302 pages, paru aux éditions L’Harmattan.
Article de Lali Derai pour Aroutz 7