Interview du Ptit Hebdo
À l’occasion de la sortie en français de son livre, « La Haine gratuite, Comment cela m’implique», nous avons rencontré le Professeur René Levy. Français d’origine, il émigre aux États-Unis après de brillantes études de pharmacie à Paris. Il est neuropharmacologue et vit à Seattle. Aujourd’hui retraité après une longue carrière universitaire, il a reçu le prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations en recherche sur le traitement de l’épilepsie.
Il nous en dit davantage sur son ouvrage et nous livre certaines analyses, empreintes de sagesse et de réflexions sur Israël et sa communauté francophone.
Le P’tit Hebdo : Pourquoi avoir décidé d’écrire un tel ouvrage ?
Professeur René Lévy : Je n’ai pas vraiment décidé de l’écrire. Certains rabbins américains m’ont demandé de développer le sujet de la haine gratuite et de l’expliquer du point de vue religieux aussi.
Lorsque j’ai commencé à me documenter sur le thème, je me suis aperçu qu’il y avait finalement très peu d’ouvrages et d’articles le traitant. J’étais très étonné, on en parle tellement !
À la suite de cette conférence, et sur l’insistance de mon épouse, j’ai publié mon livre.
Lph : Quelle a été votre ligne directrice dans l’élaboration du livre ?
Pr R.L : J’avais l’intuition que si nos Sages utilisaient précisément les mots « Sinat‘hinam», haine gratuite, cela n’était certainement pas fortuit : de grandes idées se cachaient derrière ces mots.
L’originalité du livre réside donc dans le décodage de cette expression, que j’ai tenté de réaliser. Je voulais découvrir ce que voulait dire l’idée que la haine pouvait être et est »gratuite ».
Lph : Expliquez-vous ce phénomène scientifiquement ?
Pr R.L : Les avancées scientifiques dans la neurobiologie nous aident certainement à mieux identifier le sentiment de haine du point de vue neural. La haine est associée à la partie primitive de notre système neural.
En fait, la haine ne peut être éliminée, elle est un mécanisme de défense. C’est d’ailleurs ce qu’affirme le Roi Salomon dans les Proverbes : « Un temps pour haïr, un temps pour aimer ».
Donc, il ne s’agit pas de la faire disparaître mais plutôt de comprendre ce qui la rend gratuite.
Lph : Comment la haine devient-elle gratuite ?
Pr R.L : La haine est l’arme nucléaire de l’esprit. Elle produit une réaction explosive qui détruit, qui anéantit et occupe complètement l’esprit de la personne.
Notre système neural primitif utilise cette réponse chaque fois que nous sommes agressés. La réaction est toujours excessive : elle nous pousse à vouloir détruire l’objet de la haine. Il s’agit donc d’une réponse violente et injuste. La haine est aussi un sentiment intemporel. Elle dure pour toujours, la personne qui hait n’a aucun effort à faire pour se souvenir de l’incident qui a causé ce sentiment.
En outre, la haine se propage : la famille, les amis alors même qu’ils n’ont pas été touchés directement, haïssent eux aussi. Cette haine »indirecte » est donc bien gratuite.
La Torah nous dit : « Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur », elle proscrit également la rancune, la vengeance et l’agression. La Torah nous pousse à établir un dialogue. Donc, toute haine qui serait évitable par le dialogue est par définition gratuite.
Lph : L’expression »Haine gratuite » revêt-elle une signification différente pour les Juifs ?
Pr R.L : La haine est un sentiment humain. Mes recherches m’ont amené à la conclusion que les Juifs et les Sages ont un intérêt différent de celui des autres peuples sur le sujet. La »Sinat ‘Hinam » a, pour nous, une signification historique colossale.
La haine est létale car elle détruit la capacité humaine d’empathie et par conséquent le lien national et l’unité du peuple juif. Finalement, il est indiscutable que tous nos problèmes, en tant que peuple, sont liés à notre ignorance au sujet de la haine et de ses conséquences.
Mon livre apporte un diagnostic de ce sentiment, point de départ de notre introspection. Une telle analyse n’avait encore jamais été faite. J’y propose une définition importante de ce qu’est le peuple juif. Il s’agit d’un ouvrage très utile pour les familles juives puisque je propose des solutions pour se débarrasser de la haine gratuite et réussir à pardonner.
Lph : Un public non-initié aux sciences peut-il lire et comprendre votre ouvrage ?
Pr R.L : Le livre s’adresse à tous les publics ; le langage n’y est pas scientifique. Je dirais même que le style convient bien aux jeunes générations.
Lph : Le Grand Rabbin Gilles Bernheim a préfacé votre livre. Est-ce un ouvrage religieux ?
Pr R.L : J’y apporte beaucoup de références religieuses mais souvent cachées. De nombreux rabbins m’ont avoué que le livre leur avait permis de comprendre pourquoi tant de parachiot sont consacrées à l’histoire de Yaacov et de ses fils.
J’y évoque notamment la rencontre prophétique entre Yehouda et Yossef (Parashat Vayigash). Elle prédit toute l’histoire du peuple juif, qui se retrouve dans le conflit entre deux visions de la notion de responsabilité (arevout). Yossef est un individu en exil qui a réussi et qui défend la notion de responsabilité individuelle. En face de lui, Yehouda symbolise la royauté d’Israël sur sa terre et défend la notion de responsabilité collective. Ces idées nous ont fondés en tant que peuple, et nous ont permis d’exister même sans terre.
Lph : Pour vous, quelle est alors l’importance de cette terre ?
Pr R.L : Eretz Israël est notre terre, elle est indispensable. J’y viens moi-même au moins deux fois par an. Dans mon livre, trois chapitres sont consacrés à Israël : j’y explique certains phénomènes et je pose des questions-clés. La naissance et la croissance de notre État n’obéissent à aucune logique.
Lph : Comment voyez-vous aujourd’hui les relations entre Israël et la diaspora ?
Pr R.L : Aujourd’hui, le nombre de Juifs en Israël égale celui de la galout. C’est un phénomène nouveau et important. Dans les années 50-60-70, les Israéliens étaient une minorité dans le peuple juif, le dialogue était mené par la diaspora.
Aujourd’hui, la diaspora tient le second rôle : que ce soit au niveau du peuple ou au niveau purement religieux, ce sont les Israéliens qui décident du futur. La diaspora doit maintenant choisir entre suivre physiquement ou psychologiquement, ou bien être nulle part.
Lph : Que vous inspire la communauté francophone en Israël ?
Pr R.L : Elle est bien différente des communautés anglo-saxonnes. Elle possède cette qualité d’avoir une approche équilibrée du judaïsme, entre le cœur et l’esprit. Les Anglo-saxons sont plus intellectuels dans leur rapport au judaïsme.
Cet équilibre qui caractérise les Français d’Israël est très important car il pourrait représenter la clé du futur de la société israélienne en ce qui concerne la vision de la religion. Les francophones apportent un modèle, ils ont le potentiel de jouer un rôle déterminant.
Lph : Parviennent-ils à concrétiser ce potentiel ?
Pr R.L : Je pense que pour le moment les Francophones sont trop enfermés dans une bulle. Donc, les autres composantes de la société israélienne ne peuvent pas se rendre compte de tout ce qu’ils pourraient leur apporter. Pour pouvoir influer, il faudrait qu’ils sortent de cette bulle. Je trouve dommage de ne pas les entendre davantage, ce serait une grande contribution pour l’État d’Israël.
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