C’était à la mi-juillet 2011. Le monde, étonné, découvrait que le mouvement des « indignés » gagnait Israël, un pays dont on imaginait mal, jusque-là, qu’il puisse être travaillé par des crises autres que politiques et sécuritaires. Des manifestations ont ainsi eu lieu à Tel-Aviv contre la vie chère, prenant le gouvernement, lui-même, au dépourvu. C’est la classe moyenne, comme dans d’autres pays d’Europe notamment, qui est descendue dans la rue pour protester contre les prix de l’immobilier et la hausse des prix des produits de base. Le gouvernement a fini par réagir en adoptant une série de mesures propres à calmer, au moins pour un temps, la colère de la rue.
En réalité, la société israélienne est touchée par un phénomène qui concerne la quasi-totalité des pays développés : un écart entre riches et pauvres qui augmente et une classe moyenne qui voit ses espoirs de progression sociale refluer. Mais la poussée de fièvre du mouvement des indignés n’aura pas duré longtemps. Depuis un moment déjà, les tentes ont été démontées.
La coexistance entre des habitants d’horizon différents
Si le mouvement s’est rapidement étiolé c’est qu’Israël connaît un relatif dynamisme économique, grâce notamment à l’industrie high-tech, mais aussi parce qu’il est traversé par d’autres enjeux vitaux, comme la coexistence, sur un petit territoire, d’habitants venus d’horizons bien différents. « Si l’on considère que les Israéliens viennent de 104 pays différents, cela aurait pu créer une guerre atomique ! Or, malgré tout le pays avance », fait remarquer le sociologue israélien, Claude Sitbon. « Israël est un creuset et une aventure extraordinaire, dit-il, où l’armée et l’école jouent le rôle d’accélérateurs de la maturité. L’armée restant le creuset le plus fort de la réalité israélienne. » Et l’hébreu, « la patrie portative des juifs », selon son expression, la langue commune à tous ceux qui s’installent en Israël.
Pour le professeur Sergio della Pergola, démographe et enseignant à l’ université hébraïque de Jérusalem, « quand ils arrivent en Israël, les juifs recréent la globalisation. Il existe une certaine unité mentale entre tous, mais avec des différences socio-économiques et sociologiques. Avec d’un côté la modernisation et la sécularisation, de l’autre l’anti-modernisme et le traditionalisme. Toutes les nuances existent », poursuit-il.
Mais il ne croit pas à une opposition frontale entre religieux et laïcs. Un débat agite pourtant la société israélienne depuis les événements qui se sont produits dans la ville de Beit Shemesh, ville peuplée de juifs religieux, non loin de Jérusalem. À la fin du mois de décembre dernier une petite fille de 8 ans, Na’ama Margolis, s’est fait insulter par des ultraorthodoxes parce qu’elle n’avait pas une tenue adéquate selon leurs critères. D’autres ultra-religieux exigent la séparation entre hommes et femmes dans les bus. Le démographe persiste : il n’existe pas deux blocs. « Quatre-vingts pour cent de la population se trouvent au milieu. Les extrêmes représentant chacun 10 %, soit 10 % pour les ultra-religieux, 10 % pour les antireligieux. »
Une « séfaradisation » du pays
Peut-on vraiment parler d’assimilation dans un pays où l’on perçoit encore certaines formes de discrimination envers les Éthiopiens ou l’expression de défiances diverses entre séfarades et ashkénazes, par exemple ? « La majorité de la population devient séfarade en Israël. Il y a une “séfaradisation” du pays qui est renforcée par l’influence de la cuisine et de la musique », rétorque Claude Sitbon, lui-même né en Tunisie. « Dans les années 1950, le type israélien était plutôt blond aux yeux bleus et dans l’armée. Aujourd’hui, il travaille dans la high-tech. Israël, poursuit-il, reste une patrie refuge pour tous les juifs. »
« Beaucoup de choses ont été faites pour intégrer les différents groupes », fait remarquer Sergio della Pergola. « Mais il reste, c’est vrai, des différences de classes sociales dues au lieu géographique d’origine. La mobilité sociale est évidente. Aujourd’hui, les ressortissants du Maroc, séfarades, ont leurs représentants au gouvernement. Globalement, la société a su intégrer ses diversités », poursuit-il. « Même si, pour les Éthiopiens, le processus est plus lent, parce qu’ils sont les derniers arrivés et qu’ils viennent d’un milieu agraire et traditionnel ».
Le « salad bowl » israëlien
Et si l’on faisait un parallèle avec les États-Unis, Israël, serait-elle plutôt le « salad bowl », composé de différents « ingrédients » qui se côtoient sans se fondre dans un même ensemble, ou le « melting-pot » qui organise un mélange des cultures aboutissant à une culture nouvelle ? « Plutôt le salad bowl », tranche le démographe.
Une société israélienne qui, par ailleurs, se situe politiquement de plus en plus à droite. La gauche a été laminée, le camp de la paix est devenu ultra-minoritaire. « Il n’a pas disparu, affirme Claude Sitbon, qui en fait partie, la vérité c’est qu’aujourd’hui, on n’a rien à présenter, rien à donner, ni côté israélien, ni côté palestinien ».
Comment vit-on alors dans cette société israélienne aux multiples visages ? « Plutôt bien », conclut Sergio della Pergola, qui cite cette enquête sociale nationale, où à la question : « Êtes-vous satisfait de votre vie ? » Le pourcentage des satisfaits atteint 86 %, dont 80 % pour les Arabes israéliens, 90 % pour les juifs et 96 % pour les ultraorthodoxes, les haredims.
En Israël vit dorénavant la plus forte communauté juive du monde
Pour la première fois dans l’histoire d’Israël, il y a plus de juifs dans l’État hébreu – 5,8 millions – qu’aux États-Unis. C’est en tout cas ce qu’affirme le professeur Sergio Della Pergola, démographe et professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. « Aujourd’hui, 40 à 45 % des juifs dans le monde vivent en Israël. Et la démographie d’Israël en fait la communauté juive la plus importante au monde. »
Agnès Rotivel, à Jérusalem pour Lacroix.com